« 3 ans d’efforts pour rien »: le personnel au sol d’Air France veut se faire entendre par tous les moyens

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C’est quasiment les larmes aux yeux que l’un des salariés présents à Orly ce matin évoque devant les caméras de BFM TV, les "3 années d’efforts demandés par la direction, pour rien". Un constat à chaud après la décision d’Air France de mettre en œuvre son plan de réduction des emplois. Loin d’être gagné.

Ce matin, ce n’est pas chez Air France que l’on évoquait l’affaire mais dans les cabinets feutrés de Matignon. L’Etat - avec ses presque 18% dans Air France - ne voit pas d’un bon œil les 2.900 suppressions d’emploi. Pire, François Hollande ne veut pas de vagues brutales avant les régionales. La solution ? Peser discrètement sur la Direction d’air France… "Quitte à engager un bras de fer avec la direction, voire au pire d’en changer ", commente un conseiller très proche du dossier. L’hypothèse apparaît plaisante pour les salariés, qui savent cependant que le politique ne tient pas toujours les promesses qu’il fait. D’autant que l’Etat a renouvelé très récemment sa confiance à Alexandre de Juniac. Difficile de se désengager. Autre observation de notre conseiller: "Le Président d’Air France n’a pas décidé seul de cette posture, il a forcément eu un soutien politique". Et surtout celui, unanyme, du Conseil d'Administration du groupe, qui comporte des représentants des salariés.

Dans ce dossier, la multiplicité des sources contactées et le besoin de confidentialité du dossier rend complexe l’analyse. Que voit-on aujourd’hui ? Que le SNPL, comme la CGT, sont persuadés que toute cette affaire n’était que mise en scène. Air France avec ses plus de 63 000 salariés doit "maigrir", inéluctablement. De fait, le constat des syndicats est amer, "Ce plan n’est que la première marché d’un ensemble qui doit ramener AF à une position salariale estimée aujourd’hui à 45 000 personnes". On sait aussi que les pilotes d’AF volent moins que leurs homologues européens (585 heures contre 850 pour Iberia ou 840 pour la Lufthansa). Le différenciel de plus de 265 heures place Air France loin derrière des autres transporteurs en matière de compétitivité. .

Les pilotes sont seuls responsables ?

Vrai et Faux, même s’ils ont une grande part de responsabilité. Avec un niveau de salaire le plus élevé de toutes les compagnies européennes (14 000 euros mensuel contre 9165 pour un pilote de la Lufthansa), ils sont prêts à des concessions autour d’une meilleure organisation du temps de travail. Mais faute de plier a minima, ils se sont enferrés dans une posture syndicale qui pourrait mener la compagnie au tapis. Beaucoup de pilotes sont éloignés des positions extrémistes du SNPL mais constatent cependant que la Direction ne prend jamais en compte les spécificités de leur métier. 

Tout casser et tout recommencer ?

C’est le souhait d’un grand nombre d’observateurs, y compris en interne, qui affirment que l’on ne fera pas du vieux avec du neuf. "Ce énième plan de restructuration sent le sapin" affirme en bougonnant un cadre haut placé chez AF qui évoque une approche "brouillonne et désordonnée" d’une direction qui n’a pas la méthode et le savoir managérial pour composer avec les ressources de l'entreprise.
Mais la plus forte pression vient de KLM qui constate que le groupe marche à deux vitesses, et que les efforts réalisés du côté d'Amsterdam n'ont pas été décalqués en France pour optimiser la productivité et la rentabilité, alors que c'est de ce côté que le boulet est serré au pied. Les Hollandais n'apprécient pas les méthodes françaises et ne se sont pas gênés pour le dire. Pourront-ils à eux seuls faire évoluer la situation ? Certainement pas car ni la direction du groupe, ni même les syndicats ne veulent être gérés par les méthodes, parfois radicales, des bataves. KLM ne peut pas penser pour AF, alors que beaucoup aimerait que ce soit le contraire qui se passe. La question est posée : KLM peut-elle sortir du groupe ?

Que dit Frédéric Gagey, Président-directeur général d'Air France ?

Dans son communiqué à la presse, au-delà de la condamnation des violences physiques survenues en marge de ce Comité Central, il explique que le plan B sera mis en œuvre, que "les événements n'altèrent en rien la volonté de la direction de poursuivre à tout moment les discussions avec les partenaires sociaux pour la mise en œuvre la plus efficace et constructive de son redressement". Une ouverture saluée par les syndicats.

Concrètement, la capacité long-courrier d'Air France devraient baisser de l'ordre de 10% entre 2015 et 2017. A l'échelle de l'activité passage réseaux d'Air France-KLM, les capacités devraient baisser d'environ 2% entre 2015 et 2017, contre une croissance d'environ 3% précédemment anticipée.
 
Le plan prévoit également, d'ici 2017, la fermeture de 5 lignes et l'arrêt de 35 fréquences hebdomadaires long-courrier. Les lignes les plus déficitaires du réseau, desservant principalement l'Asie et le Moyen-Orient, sont concernées. Enfin, la flotte long-courrier d'Air France sera réduite de 14 avions, passant de 107 avions opérés à l'été 2015 à 93 à l'été 2017. Cet ajustement sera principalement réalisé par la sortie accélérée d'Airbus A340, non remplacés par les Boeing 787 initialement prévus. L'annulation de 5 commandes doit être négociée, l'une auprès de Boeing, les 4 autres auprès d'un leaser. Sur les seules années 2016 et 2017, la réduction des investissements liée à ces décisions pourrait atteindre jusqu'à 200 millions d'euros.
 
La direction d'Air France estime que "Cette baisse d'activité génèrera un sureffectif estimé à 2 900 personnes, dont environ 300 pilotes, 900 Personnel Navigants Commerciaux et 1 700 personnels au sol. Dans les secteurs où les concertations/négociations permettent d'atteindre les objectifs de Perform 2020, l'adaptation des effectifs se fera sous la forme de départs volontaires. Dans les autres secteurs, le recours aux départs contraints ne pourra être exclu. Des charges de restructuration seront enregistrées une fois arrêtés le rythme et les modalités des départs".

Que vont faire les salariés ?

Les pistes sont multiples et rien n'est arrêté. La ligne dure, principalement sur les escales et les bases de province, veut se battre quitte à bloquer le trafic d'AF. A Marseille, tout serait prêt si des licenciements étaient annoncés. En Corse, on craint qu'AF ne confie dès cette fin d'année la sous traitance des vols à des entreprises privées, moins chères que le personnel de la compagnie. A Bastia comme à Ajaccio on ne veut pas subir.
Sur Roissy et Orly, la situation est plus mitigée. Une fois passée la colère, on croit encore à un renversement de situation. Illusoire ? Seule certitude, les modalités d'application du plan seront analysées à la loupe. Malheurs aux maladresses, elles pourraient coûter cher à la compagnie.
Dans un communiqué publié ce 5 au soir, l'intersyndicale de la compagnie (13 syndicats) affirme que "Aujourd’hui, avec pour seul bagage une politique RH exclusivement réductrice d’emplois et des coups d’éclat médiatiques, la Direction n’est pas parvenue à convaincre les personnels. Seul un projet industriel fondé sur un développement fédérateur et ambitieux pourra susciter l’adhésion de l’ensemble des salariés d’Air France". L'intersyndicale conclut: "La solution aux problèmes d’AF sera issue d’une concertation entre les parties que sont les organisations professionnelles, l’équipe dirigeante et le gouvernement dont les arbitrages sont une des clefs principales pour garantir un avenir à la compagnie".