A quoi servent les agents de voyages ?

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C’est la question que se posent en permanence les responsables commerciaux et financiers des compagnies aériennes : à quoi servent les agents de voyage ? Depuis que je suis dans ce métier, et cela fait maintenant 47 ans, j’entends dire que les intermédiaires du voyage vont disparaitre. Cela a commencé avec l’arrivée des systèmes de réservation électroniques, le premier étant Panamac alors développé par la défunte Pan Am. Air France avait suivi d’ailleurs peu de temps après, avec Alpha 3. Finalement, l’arrivée de ces nouveaux outils n’a pas empêché les agents de voyages de prospérer et les compagnies aériennes se sont empressées de les équiper, très souvent à leurs frais.

L’arrivée et la généralisation des GDS au cours des années 1980 a encore renchéri les coûts de distribution au profit… des compagnies elles-mêmes créatrices de ces systèmes. Les fondateurs y ont gagné des montants considérables payés par les transporteurs concurrents de petite taille qui n’avaient pas eu les moyens de créer leurs propres GDS. Alors cela a représenté l’âge d’or des agents de voyages qui, non seulement engrangeaient les commissions habituelles (9% pour les vols internationaux et 7% pour les vols domestiques) mais également une rémunération reversée par les GDS pour les inciter à faire des dossiers de réservations, lesquels étaient et sont toujours refacturés aux transporteurs.

Et puis les compagnies ont revendu les GDS à des fonds d’investissement en faisant de très confortables plus-values mais alors l’utilisation des GDS ne devenait plus qu’un centre de coûts. Et Internet est apparu. Sa généralisation a été fulgurante et les compagnies ont considéré qu’elles pouvaient atteindre leur marché directement sans avoir besoin de rémunérer les agents de voyages. Alors elles ont purement et simplement supprimé les commissions, pensant ainsi économiser un montant substantiel sur les charges de distribution. Ce faisant, elles se sont tiré une balle dans le pied car les agents de voyages, rémunérés dès lors directement par leurs clients, ont fait une pression considérable pour faire baisser les prix alors qu’ils avaient intérêt au contraire à les faire augmenter lorsqu’ils étaient commissionnés.

La dernière étape est en train de se mettre en place avec une prime aux clients qui font leurs achats directement sur les sites Internet des compagnies. Le groupe Lufthansa a commencé. Il sera suivi par d’autres. Le futur consiste maintenant, avec le NDC, à agréger au PNR des compagnies aériennes une foultitude de services, depuis les surcharges inventées avec grande créativité par les compagnies, jusqu’aux réservations et paiements d’hôtels, locations de voiture, théâtres et j’en oublie certainement. Alors à quoi vont servir les agents de voyages ?

Revenons un peu en arrière. En 1970, lorsque j’ai débuté dans la profession, les agents de voyages représentaient 70% du chiffre d’affaires du transport aérien. Eh bien, le pourcentage est identique un demi-siècle après. L’arrivée sur le marché de nouveaux outils de distribution : billetterie électronique, GDS ou Internet, s’est faite au profit de tout le monde et les premiers bénéficiaires ont été les agences de voyages en ligne, les fameux OTAs qui représentent une part de plus en plus importante du secteur. Comme dans toute activité, les plus inventifs se taillent leur place, certes au détriment des autres. Mais les agences traditionnelles ont compris qu’elles devaient elles aussi bouger et elles l’ont fait en se regroupant en réseaux intégrés ou volontaires puissants. Et ces derniers sont capables de discuter en position de force avec les compagnies aériennes, ne serait-ce que pour obtenir des commissions sur le volume de la part de ceux qui voulaient justement les supprimer. Et ces grands réseaux, reliés entre eux par des alliances, comme d’ailleurs les compagnies aériennes, sont capables de répondre aux appels d’offres des grands groupes internationaux qui ont non seulement des besoins de transports, mais également de services au sol. Et ils sont les seuls à pouvoir le faire.

Il reste que la distribution du transport aérien devra encore se réformer fortement. D’abord en percevant mieux les pratiques et les motivations des compagnies aériennes. La réciproque est d’ailleurs vraie. Je suis frappé du manque de connaissance du fonctionnement des GDS ou du BSP voire des mécanismes de l’Interline par exemple de la part des agents de voyages. C’est en connaissant en profondeur les moyens utilisés par les transporteurs qu’ils pourront proposer des services adaptés et assurer leur survie.

Je suis également frappé de voir que les compagnies ne considèrent les agents de voyages que comme une source de coûts, dont elles souhaiteraient ardemment se passer et non pas comme de vrais partenaires capables de leur amener le chiffre d’affaires dont elles ont besoin, dans les classes tarifaires intéressantes pour elles. Pourquoi, par exemple, ne pas envisager de rétablir les commissions pour toutes les ventes en classes Affaires et Première ?

Et puis n’oublions pas que la proximité du marché et la connaissance fine, je dirais même individuelle des clients et la capacité de faire des comparaisons entre les transporteurs, constituent le premier des services que les agents de voyages peuvent amener aux compagnies aériennes. Et ce n’est pas près de s’arrêter.

Le NDC va constituer une nouvelle étape dans la relation entre les compagnies aériennes et leur circuit de distribution. Il serait grand temps que les uns et les autres se mettent autour d’une table pour voir comment ils vont en tirer un mutuel profit.

Jean-Louis BAROUX