Aimons-nous les uns les autres

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Toute la rédaction m'a prévenu : le sujet que j'aborde aujourd'hui est délicat. J'en suis bien conscient même si je ne suis pas à l'origine de l'étude menée par le laboratoire du comportement de Tokyo, que nous avons déjà cité régulièrement. La question est loin d'être inintéressante: les voyageurs (quelle que soit leur religion), peuvent-ils pratiquer aisément leur culte à l'occasion de leurs déplacements professionnels ? Les réponses fournies à cette question sont plus complexes qu'on ne l'imagine. Certaines religions imposent un temps de prière établi en fonction de l'heure de la journée. C'est là que tout se complique.

Si l'on en croit l'enquête, tous les aéroports au monde ne sont pas encore sensibilisés à la pratique religieuse des voyageurs. Selon les pays fréquentés, et la religion officielle ou officieuse qui y est pratiquée, on trouvera des mosquées, des chapelles ou des salles de prière. Il n'empêche, et l'étude le prouve, qu'il est parfois difficile de pratiquer sa propre religion dans un pays qui, lui, en pratique une autre. On imagine mal un religieux israélite se livrer en public à une prière rituelle dans l'aéroport d'un pays musulman. Il faudra alors jouer de discrétion pour arriver à prier sans trop se faire remarquer. Il en va de même dans un pays européen pour un musulman. Car ce que révèle principalement l'étude, c'est que la culture locale a souvent du mal à se plier aux rites religieux des voyageurs de passage.

Si l'enquête développe sur une vingtaine de pages les différents constats réalisés dans les aéroports européens, asiatiques et américains, il faudra principalement retenir deux éléments clés de ce travail universitaire. Le premier concerne très directement la conception architecturale des aéroports et l'approche que certains exploitants ont de la pratique religieuse. Il n'y aurait rien d'étonnant, explique l'un des chercheurs nippons, à ce qu'une mosquée s'implante dans un aéroport américain et que sur son mur soit indiquée la direction de la Mecque. Il n'y a rien d'offensant à ce qu'un shintoïste ou un bouddhiste puisse trouver des lieux de prières tout comme un indien ou un chrétien convaincu. Pour autant, seuls 12 % des aéroports dans le monde se sont penchés sur cette question et ont tenté, avec plus ou moins de réussite, d'y répondre.
L'autre enseignement de cette analyse réside dans le fait que si la mondialisation est arrivée jusque dans nos assiettes et nos armoires, elle a encore du mal à accepter les religions des autres sans forcément sourire ou apporter des commentaires désobligeants.

Voilà donc un sujet qui n'arrive pas à passer le cap de l'universalité alors qu'a priori, les religions souhaitent l'atteindre. Bien sûr, ce rapport arrivera sans aucun doute sur les bureaux des patrons d'aéroports. Sans doute, leurs équipes d'ingénierie regarderont elles de près les attentes des voyageurs "croyants et pratiquants". Iront-ils jusqu'au bout pour offrir, comme ils le font avec une duty-free, une zone de restauration ou une librairie, un espace adapté à chacune des grandes religions de ce monde ? J'en doute. D'autant que la taille de ces espaces réservés a peu d'importance. Pour engager ce projet, c'est sur, il faut la foi.

Marc Dandreau