Air France – Etihad : de l’amour à la guerre

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Cela n’a pas trainé. A peine l’accord entre Alitalia et Etihad Airways signé, les couteaux ont été tirés entre Air France/KLM et la compagnie d’Abu Dhabi. Il faut dire qu’il y a un peu de quoi.

D’abord, on apprend qu’Alexandre de Juniac, le président du groupe européen et actionnaire important d’Alitalia, n’a pas été tenu au courant des tractations qui ont amené Etihad à prendre une participation de 49% dans la compagnie italienne. Or, la même Etihad est partenaire commercial important d’Air France/KLM avec de gros accords de «code-share». Avouez qu’il y a de quoi se poser des questions. Et d’abord que va faire Etihad d’Alitalia ? Est-ce que finalement, cette prise de participation ne marque pas le début de la conquête du marché européen par le transporteur du Golfe? Alexandre de Juniac a marqué quelque dépit en notant dans une interview au Figaro que le «deal était amical mais pas dans le sens où il y aurait de l’amour entre nous». Il ajoute «Ce partenariat est encore plus profitable pour Alitalia que pour nous. C’est donc dans l’intérêt d’Etihad de le maintenir». On ne saurait mieux dire. Bref on voit bien qu’en dépit des paroles apaisantes distillées au long du printemps, Air France/KLM ne voit certainement pas d’un bon œil la conclusion de cet accord.

Et la riposte n’a pas tardé. Les deux plus importantes compagnies européennes : Lufthansa et Air France/KLM ont écrit au commissaire européen en charge des transports, Slim Kallas, afin qu’il s’assure que les prises de participation des compagnies du Golfe soient bien compatibles avec le règlement européen. Le décryptage est facile. La seule compagnie visée pour le moment est Etihad, car ni Qatar Airways, ni Emirates n’ont pour l’instant de stratégie de prises de participations. Et les transporteurs européens veulent s’assurer que le transporteur d’Abu Dhabi ne pourra pas dicter leur conduite aux compagnies européennes dans lesquelles il a investi : Air Berlin, Darwin Airline, Air Serbia et Alitalia dernièrement. On les comprend bien car si Etihad peut dicter sa loi à ces transporteurs, cela risque de fausser durablement le jeu concurrentiel. Non pas que les coûts de ces transporteurs soient durablement inférieurs à ceux des grands groupes, mais ils peuvent maintenir des pertes pendant longtemps pour conquérir des parts de trafic au détriment des compagnies allemande et franco-néerlandaise, en étant certains d’être recapitalisés si nécessaire car les ressources financières de l’Emirat d’Abu Dhabi semblent sans limite.

Oui mais pourquoi Etihad aurait-elle pris un risque financier considérable en entrant au capital de ces transporteurs malades si ce n’est pour pouvoir au moins orienter leur stratégie ? Et quelle pourrait être cette direction si ce n’est de drainer vers le « hub » d’Abu Dhabi un trafic qui s’écoulait jusqu’alors par Francfort, Paris ou Amsterdam ?

Tous les ingrédients sont réunis pour que la bagarre éclate. Et elle sera violente. James Hogan - qui n’a jamais fait dans la dentelle - s’est exprimé récemment à Vienne. «Les transporteurs du Golfe ne sont pas la cause des problèmes de l’aviation européenne» a-t-il dit. Et vlan ! Servez chaud. Il en a d’ailleurs remis de suite une couche en expliquant qu’il vaudrait mieux lutter contre les embouteillages dans les aéroports et l’espace aérien qui souffrent d’un sous-investissement, mais également il a pointé les coûts d’exploitation et les coûts de main d’œuvre élevés, et les taxes incohérentes et inéquitables. Autrement dit, avant de venir nous chercher des noises, balayez d’abord devant votre porte. Et reconnaissons qu’il n’a pas tout à fait tort.

Alors, que va-t-il se passer maintenant ?

Il serait d’abord bien surprenant que les accords de «code-share» entre Etihad et Air France/KLM, ne soient pas dénoncés d’ici à la fin de l’année. Rappelons d’ailleurs que c’est ce qui s’est produit entre Lufthansa et Turkish Airlines. Ensuite les transporteurs européens feront sans doute jouer toutes les possibilités administratives en leur pouvoir. Les Suisses n’ont pas attendu pour suspendre les accords «interline» de Darwin Airline. Et puis, enfin, il est dans la nature des choses qu’Etihad, mais également Qatar Airways et même Emirates tentent un chantage auprès d’Airbus s’ils n’obtiennent pas les accords de trafic suffisants à leurs yeux et d’abord les droits de 5ème liberté entre le continent européen et les Etats Unis.

Voilà qui promet des moments agités.

Jean-Louis BAROUX