Air France entre dans le «dur»

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Voilà, l’échéance est arrivée. Les annonces du Plan Perform 2020 sont tombées. Certes elles étaient un peu subodorées, mais l’officialisation a été faite par la Direction d’Air France/KLM au grand complet. C’était le 11 septembre, faut-il y voir un bon ou un mauvais présage ?

Toujours est-il que le Groupe Air France/KLM, en difficulté, a décidé de passer à l’offensive en diminuant le périmètre de la compagnie mère au profit du développement de ses filiales. Ce n’est pas une mince transformation. Cependant, tout n’est pas encore clair. Si le développement de Transavia est bien acté, la mise sous la bannière Hop! des vols point à point au départ de la métropole reste encore floue. L’opération n’est prévue que l’année prochaine et les modalités techniques, financières et sociales ne sont pas encore très définies. Il faut dire que le sujet est particulièrement ardu. Je ne connais pas d’exemple semblable dans le transport aérien, sauf peut-être ce que Lufthansa a réalisé en Allemagne de manière beaucoup plus brutale. Cela a d’ailleurs valu à la compagnie allemande les premières grèves dures de la part de ses pilotes. En France, on essaie tout au moins de faire passer la transition en douceur.

Alors voilà Transavia promise à un grand développement avec le doublement de sa flotte pour la porter à 100 appareils, ce qui n’est pas rien, dans un délai relativement court de moins de 3 ans. Il a tout de même fallu un certain temps pour qu’Air France se décide à occuper sérieusement le segment «low cost». Ce faisant, elle part avec de grands handicaps. D’abord elle le fait à partir d’une société qui jusqu’à présent n’a pas fait preuve de sa rentabilité ; comment, en doublant sa capacité, éviter de doubler les pertes ? Et puis il ne faut pas imaginer que les puissants concurrents actuels vont rester sans rien faire. Et ils disposent de moyens supérieurs à ceux d’Air France/KLM et d’une expérience acquise de longue date. Enfin ils sont installés sur la quasi-totalité des marchés européens. Il faudra alors les déloger pour acquérir la clientèle espérée pour Transavia. Comment le faire sans casser les tarifs alors que les prix de revient de Transavia sont supérieurs à ceux de ses concurrents ? C’est un vrai casse-tête auquel les dirigeants du groupe franco-hollandais sont confrontés.

Autre petite interrogation. Il n’est pas pensable de doubler le volume de Transavia sans développer fortement la base d’Orly qui reste quand même un pôle d’attraction majeur, sinon le principal. Mais Transavia disposera-t-elle des slots suffisants ? Sinon, il faudra bien se résoudre à débloquer le stupide plafond des 250.000 mouvements et à gérer Orly avec des quotas de bruit, comme d’ailleurs on le fait pour Charles de Gaulle. Mais alors cela laissera la voie libre à EasyJet, à Vueling et voire même à Ryanair si cette dernière confirme son virage stratégique. Voilà une autre difficile équation à résoudre.

Mais enfin, ce n’est pas parce que les difficultés sont devant soi qu’il ne faut pas les affronter. L’enjeu est de taille et la partie n’est pas médiocre à jouer. Encore faut-il que toutes les forces du groupe Air France/KLM soient tendues vers l’atteinte du résultat. Il ne s’agit pas seulement de faire des investissements considérables : Alexandre de Juniac a annoncé 1 milliard d’euros pour le développement de Transavia, on souhaite d’ailleurs qu’il n’ait pas de peine à réunir cette somme considérable, mais également et surtout que tous les salariés soient tendus vers la réalisation des objectifs fixés dans le plan Perform 2020. Or voilà que les principaux acteurs, j’ai nommé les pilotes, commencent par se mettre en travers et de quelle manière !

Comment réussir sans eux? Et sans le succès de ce plan, que va devenir la compagnie? Y a-t-il une alternative? Les pilotes grévistes ont-ils quelque chose à proposer si ce n’est le maintien de leurs privilèges? Je note d’ailleurs que la zizanie s’installe entre les syndicats de pilotes selon qu’ils appartiennent à Air France, à Hop ou à Transavia. Tout cela n’est pas bon. Outre les pertes financières que cela va engendrer et dont Air France n’a absolument pas besoin pour le moment, c’est l’image du groupe qui en prend un coup. D’ores et déjà les compagnies concurrentes ont fait le plein pendant les journées de grève annoncées. Il est déjà difficile de conquérir un client, mais comment le faire revenir si on l’a amené à la concurrence ?

Une fois encore, il est incompréhensible que des personnes aussi éduquées, aussi performantes dans leur métier, aussi conscientes de leurs responsabilités lorsqu’ils sont aux commandes de leurs avions, se conduisent comme des enfants gâtés auxquels on voudrait enlever des jouets superflus. Ce comportement reste pour moi un mystère.

Espérons que la grève ne soit qu’un feu de paille.

Jean-Louis BAROUX