Air France, le SNPL désavoué par les pilotes ?

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La grève d’Air France qui se poursuit aujourd’hui semble nettement marquer le pas avec 80% de vols maintenus. Pour beaucoup, le SNPL d’Air France a fait une erreur stratégique d’approche.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : ce dimanche 12 juin, 83 % des longs courriers et 86 % des vols domestiques ont été assurés. Les moyens courriers étaient eux assumés à 67%. On est loin des menaces de « blocage » évoquées par le SNPL ces derniers jours. Mais il est vrai que son mode de grève par "plage horaire", est également nettement moins pénalisant pour les clients. "Concrètement, un pilote dont le vol est prévu à 7h30 sera en grève sur la plage horaire du matin allant de 5h30 à 8h30 et ne commencera son travail qu’à 8h30", a expliqué la secrétaire générale du SNPL Véronique Damon, "Le vol ne sera donc pas annulé mais simplement retardé". Le SNPL, contrairement au SPAF, invite en effet les pilotes à cesser le travail de 5h30 à 8h30, de 12h à 15h et de 21h30 à minuit.

Même si  les plages horaires retenues sont celles qui ont le plus d’impact sur le trafic, comme le fait remarquer la direction, le syndicat prend le risque d'afficher un ratage de son mouvement. D'autant qu'un certain nombre de pilotes n'ont effectivement pas voulu suivre, malgré un référendum qui donnait largement carte blanche au syndicat pour cette grève. Un vrai paradoxe, résumé par un Commandant de bord: "Beaucoup de pilotes ont donné mandat au SNPL pour une grève de plus de quatre jours, mais ils étaient bien décidés à ne pas la faire car tous restent persuadés que mettre la compagnie en difficulté n’était pas la solution immédiate".

Le timing de la grève ne semble en effet pas tout à fait pertinent puisque Juniac parti, Janaillac n'est pas encore arrivé. En l’absence d’une Présidence effective, bien des points évoqués dans les revendications ne pouvaient être réglés par le seul PDG d’Air France, comme la question de la répartition des flottes entre KLM et Air France. Sur le fond, comme pour les grèves à la SNCF ou dans les raffineries, c’est un conflit d’hommes qui perturbe les aspirations générales.

D’un côté, Philippe Evain, le patron du SNPL Air France. De l’autre Frédéric Gagey, le Président d’Air France. Pour le premier, que certains de ses confrères ont essayé d’évincer de la tête du syndicat il y a quelques mois, la lutte se doit d’être totale et il refuse de se voir opposer en permanence le fait que les pilotes soient plus nantis que d'autres. Au sein de la compagnie, beaucoup sont persuadés que la reprise économique est sans cesse remise en cause par les demandes permanentes des pilotes. Un « toujours plus » suicidaire. Mais Philippe Evain s’en soucie peu. Son but, défendre les pilotes sans céder un pouce de terrain. Il se fiche qu’au sein du groupe on le surnomme le "Krasucki des airs", il a toujours affirmé que la qualité d’une compagnie passe par la qualité du personnel navigant. Une vérité qui, pour lui, ne souffre aucune concession.

Face à Evain, Frédéric Gagey, pragmatique mais qualifié « d’indécis » en interne. Pourtant, le patron d’Air France, bousculé après les événements de la « chemise déchirée », a su reprendre pied au sein du groupe. Les bons résultats économiques l’ont confirmé à son poste et sa connaissance de KLM lui garantissent une vision globale de l’entreprise. Mais il lui manque encore une vision stratégique expliquée aux personnels. Personne ne mesure où va la compagnie.

Personne ne sait ce que veut faire la direction face aux enjeux qui s’annonce. Il est vrai que le départ de d’Alexandre De Juniac, qui affirme en privé être sorti d’un "guêpier inextricable face à des saboteurs qui en permanence remettent en question les acquis économiques" n’a pas facilité les choses. Désormais, il faut attendre l’arrivée de Jean-Marc Janaillac pour avoir un début de réponse. Seule question qui circulait en interne ces derniers jours : saura-t-il parler le langage des pilotes lui qui, chez AOM, refusait l’idée d’une approche sociale à plusieurs vitesses ? Saura-t-il résister à la machine Air France qui broie les réformateurs et favorise les courtisans ? Réponse sans doute en septembre, une fois qu’il aura pris la mesure des enjeux.

Pierre Barre