Air France, qui sème le flou récolte la tempête

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Il ne se passe plus une journée sans la presse n'évoque, dans nos colonnes entre autres, l'avenir d'Air France. Supputations, ragots, indiscrétions syndicales, fausses infos, affirmations de la direction... Rien n'échappe aujourd'hui à l'œil des médias qui, avouons-le, s'interrogent sur la stratégie développée par la direction de la compagnie. Autant le dire d'emblée, sans lisibilité, sans conviction et sans envie d'associer le personnel à la reconstruction de la compagnie, autant mettre de suite la clé sous la porte. On gagnera du temps.

"Franchement, aujourd'hui, on ne sait pas vraiment où l'on va", explique un cadre d'Air France qui se dit désabusé par l'absence d'un management efficace capable de tracer les voies pour l'avenir: "Un vrai projet, ce n'est pas seulement de savoir où l'on va économiser un peu d'argent, c'est accompagner toute une entreprise vers un but, un idéal professionnel avec des valeurs partagées par l'ensemble du personnel". Il faut dire que côté tact et diplomatie, la direction d'Air France a encore quelques leçons à prendre. Pour l'heure, ce qui apparait jusqu'à nous ressemble plutôt à la politique de la carotte et du bâton.

D'un côté, elle précise à grands coups de communication dans la presse que, faute d'un accord, les prochains mois seront placés sous le signe des licenciements et de la réduction de l'offre. On entend clairement le "ouste les inutiles" alors que l'on aurait aimé percevoir "le sang, la sueur et les larmes de la victoire".  Voilà qu'aujourd'hui, ce 24 septembre, Frédéric Gagey, le PDG d'Air France, explique à l'occasion d'un comité central d'entreprise qu'il n'est plus question de licenciements massifs, mais d'adaptation de l'offre à la demande y compris en termes de personnels. Les Brésiliens ont une expression particulièrement jolie pour souligner cette absence évidente de réflexion logique : faire danser le diable sur les braises. On ne saurait mieux dire.

Il reste l'ambiance nécessaire à l’épanouissement et au succès. Le moral est au plus bas chez les PNC et au sein des structures commerciales et administratives. En quelques mois, la direction d'Air France aura réussi l'exploit d'approfondir la fracture entre les pilotes et le reste du personnel. Même si les pilotes sont parfois inconséquents en matière d'arguments et de vision du marché, il n'y a pas d'avions sans personnels au sol et rien ne volera dans les airs sans les pilotes. Les voilà donc tous obligés de s'entendre, à condition que le chef d'orchestre donne le juste ton. À force de changer de partition, la musique commence à sonner faux et les forces vives de l'entreprise regardent ailleurs si un nouvel orchestre ne serait pas capable de les accueillir. C'est ainsi que l'on a vu partir quelques beaux talents d'Air France soit vers la concurrence soit vers d'autres univers.

Que veut la direction d'AF aujourd'hui ? En premier lieu, un temps de travail augmenté pour les pilotes et les équipages commerciaux. Selon les syndicats, elle demande une centaine d'heures de vol supplémentaires par pilote et par an, à peu près autant pour les hôtesses et stewards. Dans les faits, cette hausse serait modulée selon la nature des liaisons concernées, court, moyen ou long courrier. Le nombre de jours de congés serait réduit de 11 à 13 par an. Cette productivité accrue permettrait le maintien et surtout le développement d'un grand nombre de lignes: selon les organisations syndicales, la direction a annoncé en cas d'accord 4 ouvertures de lignes vers l'Amérique du Nord, et 2 vers l'Afrique. Enfin, une remise à plat de l'organisation des services serait envisagée même si, pour l'heure, elle n'apporterait rien au plan d'économies demandés. Frédéric Gagey reconnaît que les efforts des personnels au sol a déjà porté ses fruits. Pas question donc de licencier.

Selon des sources syndicales, AF reste persuadé d'un retour à l'équilibre dès 2015, si un accord peut être trouvé rapidement. Elle évoque l'urgence et exige un calendrier serré: alors que les négociations n'ont débuté avec les pilotes que le 18 septembre, elle veut aboutir avant le 30 septembre pour présenter un état des lieux en conseil d'administration du groupe le 1er octobre et au C.A. de la compagnie elle même le 2. Si un accord est trouvé, Frédéric Gagey, patron de la compagnie française, aurait assuré au CCE de ce 24 septembre qu'il espérait - la carotte - pouvoir reverser 100 à 110 millions d'euros au personnel très rapidement.

Faut-il voir dans la réduction des coûts la seule voie de survie ? Sans doute, mais il y a d'autres domaines à prendre un compte. Un ancien cadre d'Air France me disait il y a quelque temps que sur le Singapour/Paris, Air France ne tenait pas la comparaison face à Singapore Airlines, le modèle de base de Monsieur De Juniac. Certes, les efforts pour écouter les clients sont remarquables, et oui la négociation tarifaire corporate devient favorable à Air France sur certaines liaisons... Mais aujourd'hui, il faut inventer l'après. Supprimer un biscuit aux équipages fait sans doute gagner de l'argent, mais à un effet dévastateur pour l'image chez les clients et les observateurs. Gérer ce n'est pas éliminer, c'est supprimer intelligemment, réorganiser avec talent.

Voilà donc, si un accord global est trouvé, que l'on pourrait oublier le plan B, celui qui pourrait aller jusqu'à 8.000 suppressions de postes selon les syndicats. Ceux ci ne sont pas rassurés et, ne se sentant pas associés à ces projets, maintiennent leur mot d'ordre de grève pour le 5 octobre. Avec d'autant plus de convictions qu'ils ne voient pas l'urgence de renégocier un contrat social valable jusqu'à la fin octobre 2016. Pourquoi y a t-il autant d'urgence à agiter ce plan B, alors que le plan A ne donne pas encore les résultats escomptés. Faudra-t-il égrener l'alphabet pour savoir où Air France veut aller ? C'est la perception du personnel et globalement celle des clients qui, inquiets des grèves, commencent à penser que choisir une compagnie du Golfe, finalement, c'est choisir la sécurité.

Marcel Lévy