Alexandre De Juniac à la tête de Iata, pas une évidence

150

La nouvelle a surpris tout de monde car personne n’imaginait que le Président d’Air France/KLM puisse même se porter candidat à la Direction Générale de IATA. A vrai dire, et aux dires de nos informateurs, sa nomination ne s’est pas faite dans un fauteuil. Un autre candidat et non des moindres était sur les rangs : il s’agit de Temel Kotil le CEO de Turkish Airlines, compagnie qui a le vent en poupe. Mais la décision est prise et nul ne doute que l’Assemblée Générale de IATA validera cette nomination tout début juin à Dublin.

Deux interrogations se posent immédiatement.
 
Tout d’abord, qui va remplacer Alexandre de Juniac à la tête de ce qui est tout de même l'un des groupes majeurs du transport aérien mondial ? Bien entendu, un cabinet de chasseur de têtes a été mandaté. Bien évidemment, les candidats seront nombreux et d’abord à l’intérieur de l’entreprise où pour le moment trois ou quatre cadres dirigeants peuvent avoir leur chance. Encore faudra-t-il qu’ils soient acceptés à la fois par les pilotes et par les pouvoirs publics français. Il est d’ailleurs curieux qu’il faille obtenir l’aval des uns et des autres alors que l’Etat ne détient que 16% du capital et que les pilotes ne représentent rien officiellement dans le Conseil d’Administration. Il faudra également que le candidat soit accepté par la partie néerlandaise qui, à coup sûr, pourra mettre son véto, même sans être en mesure d’imposer un candidat.
 
Et puis la place de patron d'Air France/KLM est-elle finalement si bonne ? Si c’était le cas, l’actuel Président ne se serait pas présenté pour diriger IATA. Ballotté entre des intérêts contradictoires, soumis aux pressions des diverses catégories de personnel et des Pouvoirs Publics, coincé par la nécessité de faire de profondes réformes dont finalement personne ne veut, le tout pour une rémunération qui reste tout de même modeste, voilà qui ne suscite pas l’enthousiasme. Où trouvera-t-on le dirigeant idéal, celui capable de faire passer les indispensables réformes sans pour autant essuyer des conflits sociaux à répétition ?
 
Et deuxième interrogation : le nouveau dirigeant de IATA sera-t-il en mesure d’imposer sa marque ? Soulignons d’abord l’importance du poste qui a toujours été occupé par de fortes personnalités, même si certaines, comme Giovani Bisignani, ont été très contestées. Le challenge qui attend le nouveau dirigeant de cette institution sera de la faire évoluer de manière à représenter vraiment toutes les composantes du transport aérien, et pas seulement les 15 principales compagnies. Car finalement, ce sont ces dernières qui fixent les grandes orientations. Or, même si elles représentent près de la moitié du volume des compagnies traditionnelles, elles ne servent pas pour autant les intérêts des quelques 700 autres compagnies régulières qui bon gré, mal gré, sont obligées de suivre les directions imposées par le petit comité des « grands ».
 
Deux sujets au moins vont être rapidement sur la table. D’abord comment intégrer les transporteurs « low cost » dans IATA ? Il parait en effet étrange de prétendre représenter le transport aérien en laissant de côté les seules compagnies en véritable croissance, celles qui d’ailleurs représentent la majorité des commandes d’avions. Le deuxième sujet sera aussi délicat : il s’agit de créer une relation apaisée avec les distributeurs du transport aérien que sont les agents de voyages. Il ne sera pas possible de maintenir indéfiniment ce qui représente une sorte de sujétion vis-à-vis de ceux qui, finalement, détiennent la clientèle. On voit mal comment les compagnies aériennes, par le truchement de IATA, pourront demander toujours plus de sécurité financière en durcissant les conditions d’accès au BSP, tout en s’exonérant de toute responsabilité en cas de défaillance d’un transporteur. La protection du passager exige que les compagnies aériennes disposent d’un fond de garantie contre leur propre dépôt de bilan.

Bien entendu le comité des « grands » s’offusque lorsque ce type de sujet vient sur la table. Comment, compte tenu de leur énorme taille, peuvent-ils être suspectés de défaillance ? C’est oublier un peu vite l’histoire et la liste impressionnante des grands transporteurs qui ont dû mettre la clef sous la porte, à commencer par Swissair, Alitalia, Malev, Cyprus Airways et le placement sous « Chapter 11 » de tous les principaux transporteurs américains, à la seule exception d’Alaska Airlines.   
 
Voilà du pain sur la planche pour Alexandre de Juniac qui devra également passer une énorme partie de son temps à rendre visite à nombre de transporteurs, assister à toutes les conférences majeures et à tous les comités régionaux. Heureusement, la place est bien rémunérée et surtout, hors impôts. Souhaitons-lui de pouvoir marquer cette institution de la patte française ce qui changera agréablement d’une certaine lourdeur anglo-saxone.
 
 Jean-Louis BAROUX