Bertrand Mabille, CWT : « La TMC et le voyage d’affaires ont un bel avenir. Sans doute différent de celui que nous connaissons aujourd’hui »

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Après avoir évoqué le bilan 2012 du marché du voyage d'affaires avec Yann Barbizet de Concomitance, c'est du côté de la TMC que nous sommes partis chercher une analyse de l'année qui se termine et de celle à venir. Bertrand Mabille, le patron de CWT (Carlson Wagonlit Travel) jette un regard sur les 12 derniers mois et nous livre ses réflexions sur l'avenir du Corporate Travel.

Pour Bertrand Mabille, au-delà de la crise que traverse l'ensemble du marché, ce sont les évolutions du transport aérien qui marquent l'année, ainsi que l'intégration toujours plus grande de la mobilité dans les process de réservation du voyage d'affaires. Pour lui, un atout pour l'évolution des déplacements professionnels.

DeplacementsPros.com: Quel regard portez-vous sur 2012 ?

Bertrand Mabille : Je ne m'attarderai pas sur la crise économique et ses effets indirects que nous avons tous constatés depuis le début de l'année, même si le phénomène est un peu plus présent ces dernières semaines. Ce qui m'a le plus marqué depuis quelques mois, c'est incontestablement la montée en puissance des low cost face aux compagnies régulières. Je dirai plus spécifiquement la complexité de gestion des contrats Corporate face aux besoins de Best Buy manifesté par les clients. On le voit de plus en plus, le besoin du meilleur prix au meilleur moment est devenu une stratégie d'achat opportuniste qui s'inscrit dans la durée. Face a cette situation, la notion de fidélité est beaucoup plus complexe à analyser et on remarque que de grandes entreprises dépassent le cadre du contrat Corporate au bénéfice du prix immédiat. Cela ne veut pas dire que je crois en cette idée, un peu répandue, que la fin des contrats Corporate est proche. Je pense au contraire que les grandes compagnies vont devoir optimiser leur offre en abandonnant l'idée d'un contrat global au bénéfice de contrats "ligne par ligne". Comment expliquer à un voyageur d'affaires que le prix affiché sur son SBT est bien plus élevé que celui qu'il va trouver sur son mobile trois ou quatre jours avant son départ ? C'est une équation économiquement complexe qui devra se résoudre par la mise en place d'un dialogue évolué entre l'ensemble des acteurs, que ce soit l'agence de voyages, le client ou la compagnie aérienne

DeplacementsPros.com : A l'occasion d'Univ'airplus 2012, vous aviez émis l'idée de repenser l'achat hôtelier. Où en êtes-vous ?

Bertrand Mabille : On peut dire aujourd'hui que nous disposons enfin de solutions techniques hôtelières de qualité. De plus, elles sont associés à des moyens de paiement qui permettent plus de fluidité dans les achats ou en matière de consolidation. Les politiques "voyages" sont plus précises et l'écoute des acheteurs est plus importante. Pour autant, je crois que c'est un marché qui n'est pas encore mûr pour la réservation sur mobile. Il ne faut pas oublier que les règles mises en place dans les entreprises sont parfois complexes en matière d'offres hôtelières et de réservations. Même si l'on va, lentement mais sûrement, vers une autonomie du voyageur, je pense - et nous le verrons ces prochaines années - que ce sont justement ces outils technologiques qui devraient amplifier la réelle facilité de l'achat hôtelier, y compris directement par les voyageurs d'affaires.

DeplacementsPros.com : Cette autonomie du voyageur d'affaires, vous l'aviez détaillé en évoquant la notion de "politique voyageurs" et non pas de "politique voyages". Y croyez-vous pour les années à venir ?

Bertrand Mabille : Plus que jamais car la politique voyages doit avant tout s'adapter aux voyageurs. Nous le faisons avec certains de nos clients. Je le constate tous les jours en recevant les plaintes des voyageurs dont les entreprises sont clientes de Carlson Wagonlit Travel. En grande majorité, ils se plaignent de l'hôtellerie qui parfois est un peu border line. D'autres critiques concernent directement les tarifs. Beaucoup nous disent "Je ne comprends pas car à deux heures de différence sur un site loisirs, les prix sont inférieurs à ceux proposés par mon outil de réservation dans l'entreprise". Le voyageur est devenu de plus en plus mature. De plus en plus à l'écoute du marché. Incontestablement, il a une bonne connaissance du voyage et des capacités économiques qui y sont associées. Je crois qu'il faut l'écouter, savoir lui répondre et surtout lui laisser cette autonomie indispensable à la bonne réalisation d'un déplacement professionnel.

DeplacementsPros.com : Quel sera pour vous l'événement le plus important du voyage d'affaires ces trois prochaines années ?

Bertrand Mabille : Pour moi, dans les trois ans à venir, c'est la puissance du on line en France qui sera l'événement marquant. Nous sommes aujourd'hui le pays où les taux d'adoption sont nettement supérieurs que partout ailleurs en Europe. Je crois qu'il y a là le travail mené par d'autres agences, très technologiques. Je pense en particulier à Egencia qui a su éduquer le marché et qui permet aujourd'hui à l'ensemble des TMC d'obtenir des taux d'adoption élevés. On le sent d'autant plus après les deux grandes périodes que vient de traverser le voyage d'affaires : celle de la communication client qui s'articulait autour des agences locales et d'un univers aérien structuré. Puis l'aire de la fin des commissions, avec une globalisation très nette des marchés et l'intégration de l'aérien directement au sein des services Achats de l'entreprise. Enfin nous arrivons aujourd'hui dans la troisième partie de cette construction : un nouveau marché où l'on est passé de la gestion archaïque et manuelle à l'automatisation de la procédure et à l'hyper professionnalisation des agents de voyage. Une période où nous bénéficions également des effets de la dématérialisation et d'un suivi accru du contrôle budgétaire. On a aujourd'hui des agents bien plus qualifiés pour les transactions complexes qu'ils ne l'étaient il y a encore quelques années. La TMC, devenue spécialiste du client, ne se limite pas à émettre un billet d'avion ou de train, ce qui lui coûte particulièrement cher, mais offre à son client un dialogue constructif et économiquement fort. Nous sommes désormais dans l'ère où la redistribution des ressources est l'une des grandes qualités de l'agence de voyages qui peut ainsi suivre les évolutions du marché et analyser en temps réel les événements qui pénalisent le voyage d'affaires. C'est très exactement ce qui s'est passé aux États-Unis avec un relatif équilibre trouvé entre le Offline et le Online. C'est une voie que nous suivons attentivement dans notre expertise. C'est aussi l'une des valeur ajoutée de CWT.

DeplacementsPros.com : Que retiendrez-vous de 2013 pour Carlson Wagonlit Travel ?

Bertrand Mabille : Incontestablement, le rachat de Worldmate, spécialiste des technologies mobiles du voyage, qui développe des systèmes de gestion d'itinéraires et divers services dédiés aux voyageurs. Cela peut faire sourire de voir l'opposition qu'il y entre la notion de "wagons-lits" et cette hypermobilité technologique. Je crois sincèrement qu'en renforçant cette offre, nous allons prendre une place non négligeable dans l'univers de la mobilité destinée autant aux voyageurs qu'à la gestion du voyage. Un tout en un, réfléchi et efficace. Nous aurons donc très rapidement une solution complète, évoluée, et en phase avec la demande de nos clients. L'intégration de Worldmate nous permettra de développer nos propres applications comme CWT To Go mais également d'intégrer des solutions de voyage comme celles actuellement en cours de développement avec Rearden.
Quoi qu'il en soit, vous l'aurez compris, je ne fais pas partie de ces gens qui pensent que le voyage d'affaires n'a pas d'avenir. Bien au contraire. Il a un autre avenir celui que nous construisons aujourd'hui avec la technologie, les qualités d'audit de la TMC et l'adaptation que nous sommes à même d'offrir à l'ensemble de nos clients.

Entretien réalisé par Marcel Lévy.