Cheveux courts mais idées longues

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Je suis tombé il y a quelques jours sur une photo de moi prise à la fin des années 70. Un de ces clichés qui vous fait plonger dans le passé avec un sourire désuet. Un peu comme si l'on voulait dire : «Désolé, c'était il y a longtemps, je ne le referais plus». Comme beaucoup de jeunes de l'époque, j'avais les cheveux longs, tombant sur les épaules, signe caractéristique de cette période où l'on refaisait le monde tous les jours, persuadés que le pouvoir en place, qu'il soit politique ou professionnel, était incapable de répondre à nos attentes.

De cette époque, les humoristes, bousculés par quelques politiques taquins, avaient édicté une règle de base chantée par Johnny Hallyday : "cheveux longs et idées courtes" . Nostalgique ? Certainement pas. Juste l'occasion pour moi d'évoquer ici une discussion que j'ai eu récemment avec deux jeunes trentenaires, voyageurs d'affaires pour une firme spécialisée dans le monde médical. En évoquant leurs déplacements, je me suis rendu compte du décalage qu'il y avait entre les acheteurs que je fréquente quotidiennement et ceux qui partent très régulièrement en déplacements professionnels. Non pas un décalage en termes de "moyens financiers", mais principalement en termes connaissances quant à l'organisation du voyage et sa finalité. Au-delà, ce sont les procédés mêmes qui surprennent nos jeunes cadres. Ce qui les étonne le plus, c'est le manque de capacité des acheteurs à écouter et à s'enrichir de l'expérience du terrain. Thème ô combien classique qui voit s'affronter ceux qui achètent et ceux qui consomment. Le sujet n'est donc pas nouveau même si, à l'occasion d'Univ'Airplus plus, fin août dernier, Bertrand Mabille, le patron de CWT avait lancé sous forme de boutade : «A quand une politique voyageurs». Les spectateurs installés dans la salle ont immédiatement perçu le malaise des Travel managers et acheteurs présents sur scène. Une confusion sans aucun doute liée à ce qu'ils connaissent le mieux, la politique voyages. Est-ce à dire que c'est la même chose ? À l'évidence non. D'un côté il y a ces règles économiques, parfois drastiques, qui régissent la consommation d'un déplacement professionnel. De l'autre, et tous en sont conscients, il y aurait toutes celles qui permettent aux voyageurs d'être plus efficaces lorsqu'ils sont sur le terrain. «Voyez-vous», me dit l'un de mes trentenaires, "Ce qui nous choque le plus c'est que l'on entend souvent parler du voyageur par des gens qui ne sont que très rarement sur le terrain. Dans la réalité on constate qu'ils continuent à acheter ou prévoir des services qui ne nous sont pas directement destinés ou qui sont inadaptées à la réalité du voyage!". On perçoit bien la pression de cette génération Y persuadée qu'elle peut mieux faire que bon nombre de vieux routiers des achats.
Cette petite phrase que l'on entend dans toutes les rencontres professionnelles «Nous sommes tous au service des voyageurs» n'est-elle alors qu'un leurre ? La réalité des faits donne-t-elle raison aux voyageurs ou à ceux en charge de les faire voyager ? La question reste posée, difficile mais incontestablement d'actualité. Nous le verrons d'ailleurs dans quelques jours avec la présentation du Baromètre 2012 Mondial Assistance / DéplacementsPros.com, qui devraient révéler quelques surprises dans la relation tripartite : voyageurs, acheteurs et fournisseurs. Le regard des uns sur les autres est plus surprenant qu'on ne l'imagine et bourré d'enseignements qui pourraient modifier les relations sur le terrain. C'est en tout cas le souhait de mes deux jeunes commerciaux, aux cheveux courts mais aux idées longues.

Marcel Lévy