Chine, quand le voyageur d’affaires s’éveille

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Tout le monde le sait, toutes les grandes agences de voyages d’affaires sont fortement focalisées sur la Chine. Le marché est gigantesque et les promesses économiques alléchantes. Malgré le ralentissement constaté de l’activité, la Chine poursuit son développement à l’international et fournira, selon les observateurs, le plus gros volume de voyageurs d’affaires d’ici à 2020.

Appliquer en Chine ce que l’on a appris à New York, Berlin, Paris ou Londres serait illusoire. En matière de voyage, et désormais de voyages d’affaires, les usages restent les usages. L’organisation structurelle de l’entreprise chinoise ne ressemble en rien à la nôtre. Il faut naturellement s’y plier. Plus facile à dire qu’à faire.

On aurait pu croire que les Chinois qui sillonnent le monde sont à l’image de ce qu’imaginent les Européens : le doigt sur la couture et peu sensibles à leur environnement personnel. Il n’en est rien. Depuis le début des années 2000, le voyage d’affaires est un signe de réussite dans l’empire du milieu et la hiérarchisation des déplacements professionnels est même devenue un casse-tête pour les acheteurs locaux.

La plupart des entreprises françaises installées en Chine constatent la difficulté qu’il y a à organiser des déplacements professionnels en faisant fi de la qualité des voyageurs qui y participent. Premier constat, les Chinois voyagent très rarement seuls. La notion de groupes, que ce soit pour le tourisme ou le Business Travel, est essentielle à leur organisation professionnelle. Elle permet de déléguer le savoir technique commercial et de montrer la force de l’entreprise.

Autre observation, comme pour la plupart des pays dans le monde, 60 % des voyages d’affaires se passent sur le territoire chinois. Un marché domestique énorme, pourtant très disparate selon les régions, et qui ne permet pas toujours de répondre aux attentes qualitatives du voyageur.

Si l’on regarde attentivement ce qui se passe aujourd’hui en Chine, on constate rapidement que nous en sommes au même niveau qu’en Europe au début des années 80. Impensable pour un haut dirigeant chinois de voyager comme ses salariés ou du moins avec eux. Si la notion de première classe reste encore assez confuse pour certains grands patrons, voyager en business est désormais le minimum qu’ils peuvent obtenir. Idem d’ailleurs pour les hébergements hôteliers, le type de la voiture qui les attendra à l’arrivée et les attentions dont ils seront l’objet de la part de leurs clients. Il y a à la fois du social, du traditionnel et une vision du voyage d’affaires proches, selon les journalistes chinois, des grands voyages que faisaient autrefois les empereurs du pays qui partaient à la découverte de leur territoire.
Toutes ces attentes sont peu compatibles avec l’image que l’on a du pays. Le fameux idéal communiste cher à Mao est aujourd’hui largement bousculé lorsqu’il s’agit de partir à la conquête commerciale du monde. Et c’est un véritable casse-tête pour les Travel manager et les acheteurs locaux qui doivent jongler avec l’image de leurs voyageurs pour éviter de commettre un impair qui serait impardonnable. Perdre la face en Chine est impensable. Il faut donc tout faire pour que chacun voyage dans les conditions les mieux adaptés à son rang.

Les compagnies aériennes chinoises ont bien compris ce besoin qualitatif manifesté par leurs clients, qu’ils soient dirigeants de haut niveau ou simples commerciaux. Alors que la plupart d’entre elles étaient largement en retard en matière de business class, toutes se sont lancées dans une course à l’équipement pour séduire ces nouveaux voyageurs : refonte totale de la classe avant, offre variée de plats traditionnels et un service de divertissement à bord qui répond aux habitudes du pays. Au-delà, et pour rester en phase avec leurs concurrents européens ou américains, de nouvelles technologies apparaissent d’abord comme le streaming ou le wi-fi.

Notre compétition commence à se dérouler au sol, dans les aéroports. Il y a quelques années, rares étaient les salons dignes de laisser un souvenir impérissable aux voyageurs. Si Beijing ou Shanghai se sont dotés de lounges de bonne qualité, ils sont encore loin de ce que l’on peut trouver dans le Golfe ou en Europe. C’est donc tout naturellement le nouveau cheval de bataille des aéroports, d’autant que les plates-formes à équiper en Chine sont nombreuses et que la qualité des infrastructures aéroportuaires est loin d’être égale. À ce niveau, tout est à inventer. Tout est à imaginer.

En matière hôtelière, répondre aux demandes des dirigeants chinois, et de tout ceux qui composent les comités exécutifs des grandes entreprises du pays, la gestion des demandes est plus simple. La diversité des chambres généralement proposées par les groupes internationaux suffit à satisfaire des clients tout en instaurant une hiérarchie basée sur la surface de la chambre attribuée, ses équipements et surtout son prix, seule échelle de mesure aisément comparable par tous.

On pourrait aisément imaginer que la crise naissante en Chine, la multiplication du nombre de cadres supérieurs et l’augmentation du niveau de vie mettent un terme à ce que certains occidentaux qui travaillent sur place appellent la politique de l’enfant gâté. À en croire les agences implantées en Chine, nous en sommes encore loin. Principale raison, les Chinois sont sensibles aux attentions qui leur sont apportées, que ce soit dans leur vie privée ou au travail.

Il serait pourtant dangereux de tirer des conclusions hâtives sur les habitudes de déplacement des voyageurs d’affaires chinois. Dans un pays où s’adapter est le maître-mot des dirigeants politiques, on sait que tout peut changer du jour au lendemain sans que personne ne puisse y opposer. Mais soyons francs, peut-on imaginer un court instant que cette économie de marché - qui a permis au pays de se développer mais qui a aussi ses travers quotidiens - puissent disparaître ? Là, tous les spécialistes sont unanimes : il sera difficile aujourd’hui de faire marche arrière et de revenir vers des classes arrières lorsque, pendant des années, on a bénéficié du meilleur du transport aérien.

A Honk Kong,
Johan Yu