Christophe Naudin, expert en sûreté aérienne: « Ne pas traiter les passagers comme des voyous! »

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Que celui qui n’a jamais été agacé par les contrôles de sécurité aux aéroports lèvent le doigt! Les compagnies sont les premières à estimer que ce service indispensable à la sécurité du transport aérien est souvent mal assuré. «Il faut traiter les passagers comme des clients», souligne Christophe Naudin, criminologue et expert sur ce sujet. Une position qu’il a défendue à l’occasion de la toute récente convention du réseau d’agences de voyage Tourcom.


DéplacementsPros : Quel est le point faible des contrôles de sûreté selon vous ?

Christophe Naudin : Outre un problème de professionnalisation et de formation des agents, il y a une notion de service à la personne qui n'est pas traitée. On traite simplement l'aspect protection de la nation, mais on oublie que les passagers sont des clients et non des usagers. Ils payent pour une prestation, même si elle est de service public. Ils devraient donc avoir le droit d'être considéré comme un client et pas un potentiel voyou ou suspect, et être mal traité même s'ils ont fait des erreurs. On a des gros progrès à faire sur ce point.

Sur le plan technique, on peut toujours en faire. Mais ces progrès n'ont de sens que s'il peuvent être adoptés par les humains. Aujourd'hui les hommes ne sont pas à la hauteur du challenge. Les agents ne sont pas formés à l'aspect psychologique de leur métier. Ils n'ont pas toujours assez de recul pour voir que les gens arrivent à l'aéroport énervés ou stressé par un rendez-vous. Ils se vengent s'ils ont des réflexions des passagers.

DéplacementsPros : Quelles mesures devraient être mises en place pour améliorer l'expérience des voyageurs ?

Christophe Naudin : Il faudrait remettre en place les retraits provisoires. Les voyageurs d'affaires partent avec un bagage cabine où ils peuvent avoir oublié une bouteille ou un objet jugé dangereux. Au lieu de détruire l'objet confisqué, comme on le fait aujourd'hui, il serait souhaitable de remettre en place ce qui existait avant : les enveloppes de retrait provisoire. Elles permettent au passager de faire transporter le bien qu'il n'a pas le droit d'avoir en cabine et de le récupérer ensuite. On pourrait par exemple y mettre une trousse à manucure, et ainsi la faire voyager en soute. Certes, la personne perd du temps puisqu'elle doit aller chercher son enveloppe sur le tapis, mais au moins elle garde son objet. Ce service qui doit être gratuit, améliorait les relations entre les voyageurs et les agents. Il diminuerait les frustrations.

DéplacementsPros : Et comment rendre ses contrôles plus rapides ?

Christophe Naudin : On considère aujourd'hui que le passage au filtre dépend du nombre de filtres ouverts, donc cela dépend de l'aéroport. Malheureusement, ce n'est pas la police nationale qui gère les agents. Par choix économique, les aéroports veulent que les agents évitent les heures supplémentaires, alors que la police aurait besoin qu'ils soient là le temps nécessaire. Pour moi, la gestion des filtres doit être reprise par les services de l'Etat pour être plus efficace. Les aéroports payeraient seulement la facture.
Les agents devraient aussi être sous régime dérogatoire sur le plan social, comme les militaires par exemple. La durée du temps de travail n'a pas de sens pour les missions de sûreté/défense. En outre, utiliser des portiques à ondes millimétriques qui évitent aux gens de se déshabiller ainsi que des portiques à détection de traces permettrait d'aller beaucoup plus vite. En plus, cela donnerait un plus grand sentiment de sûreté aux passagers.

DéplacementsPros : Un système de contrôles assouplis pour les voyageurs fréquents comme le dispositif américain Precheck, pourrait-il être une autre solution?

Christophe Naudin : Ça serait un gain de temps en effet. C'est toujours mieux de connaître ses clients, que de ne pas les connaître. Quand vous connaissez vos clients d'affaires, vous savez ce dont ils ont besoin afin d'être satisfaits.

DéplacementsPros : Après les tracas de l'aéroport, les entreprises et les voyageurs doivent faire face aux questions des risques à leur arrivée à destination. Comment gérer la protection des collaborateurs?

Christophe Naudin : Les entreprises sont obligées d'aller dans les zones à risques car elles ont un contrat à la clé. Elles doivent alors prendre les mesures adéquates comme savoir dans quel hôtel les gens descendent, savoir si les contacts sur place sont les bons, si les véhicules loués sont corrects et entretenus. C'est une petit travail de renseignement. La difficulté, c'est que les gens qui dans les entreprises organisent les voyages ne sont pas ceux qui voyagent. On a alors tendance à faire une gestion interne contre-productive car on cherche à faire des économies de bouts de chandelle sur des correspondances ou encore des taxis. Et In fine, cela se révèle dangereux pour les collaborateurs.

DéplacementsPros : Que doivent-elles faire alors ?

Christophe Naudin : Il faut que la préparation passe par des professionnels de la protection. Chacun son travail. Pour l'entreprise, son boulot est de réaliser son contrat dans de bonnes conditions. Ainsi quand elle répond à son appel d'offres, elle inclut, après avoir consulté les spécialistes, le budget qui convient à la protection des gens, surtout si elle se rend dans une zone à risque de niveau 3 ou 4 (le maximum). Si elle n'est pas prévoyante, elle va faire une réponse serrée. Après il n'y aura plus d'argent, ou elle prendra sur sa marge, pour protéger ses collaborateurs. Et en général, elle les protégera mal. C'est vraiment une démarche en amont très importante à faire. Il y a des correspondances à éviter, des compagnies à éviter, des attitudes à éviter... tout cela ça se prépare, c'est un vrai boulot. Il vaut mieux que cela soit fait par des agences de voyages ou des consultants en protection sur site. En interne, ce n'est jamais bon parce qu'on va chercher l'optimisation économique, or en réalité il faut aboutir à la performance économique.

DéplacementsPros : Des conseils pour les voyageurs ?

Christophe Naudin : Ils doivent toujours avoir un moyen de liaison en état de fonctionnement. Téléphone portable indispensable ! Et dans certains endroits, il est faut avoir des moyens de géolocalisation. Aujourd'hui, c'est très miniaturisé, très discret. Ça ne pose aucun problème et en terme de coût, c'est abordable. On a tous les outils technologiques nécessaires. Ce qu'il manque maintenant aux voyageurs, c'est la connaissance du comportement. Savoir repérer les choses étranges et ne pas faire du tourisme émotionnel. Rester attentif pour savoir quand intervenir. Quand faut-il se méfier.. Ces réflexes s'apprennent. Sur ce point, l'homme n'est pas l'égal de la femme. Il est plus vulnérable, la femme se montre plus prudente, sauf peut-être pour les plus jeunes. Il faut mieux être une femme accomplie pour partir dans un cadre business.

Entretien réalisé par Sophie Raffin
Christophe Naudin, expert en sûreté aérienne
Auteur de «Sûreté aérienne, la grande illusion» en 2007, Christophe Naudin a conduit des tests de sûreté dans les aéroports français, notamment à la demande du député Charles de Courson. Il est consulté en 2011 à l'occasion de la mission parlementaire d'information sur la sûreté aérienne et aéroportuaire, et co-organise en 2012 avec le ministre chargé des Transports Thierry Mariani, un colloque intitulé «Forces et faiblesses de la sûreté aéroportuaire en France».