Comment on tue le nécessaire « low cost » français

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J’ai sous les yeux le « Projet d’accord pilotes relatif au développement de Transavia France » qui a été signé si je ne m’abuse pour réaliser la sortie de la crise qu’Air France a vécue en septembre. Surprenant !

Par parenthèses, ce conflit n’a pas eu que des conséquences pour la compagnie, mais également pour les fournisseurs de services et pour les clients. Ces derniers ont d’ailleurs toutes les peines du monde à se faire rembourser, en dépit des annonces répétées de la compagnie. Voilà l’exemple d’une passagère qui a dû annuler ses vols Paris/Nice/Paris le 29 septembre et qui a fait sa demande de remboursement le jour même par Internet. N’ayant toujours rien reçu le 24 octobre, elle appelle le service de remboursement téléphonique et après une attente de 31 minutes, une opératrice lui confirme que le remboursement n’est pas fait, mais qu’elle va le faire, en précisant qu’elle ne rembourse pas les frais d’émission. Devant les protestations de la passagère, elle répond que cette dernière n’a qu’à écrire au service relations clients ! Eh bien, je me demande si c’est avec de telles pratiques que la compagnie va récupérer sa clientèle !

Mais revenons à l’accord de sortie de grève. Tout d’abord il est long : 8 pages plus les annexes et détaillé au point qu’il est difficilement lisible par un non initié. Mais les grandes lignes, sont, elles parfaitement claires. Le but de cet accord est d’abord d’enterrer Transavia Europe, ce qui est accepté par les parties mais en contrepartie d’avoir le droit de développer Transavia France pour la passer progressivement des 14 avions qu’elle a le droit d’opérer, à une capacité de 40 avions, mais avec des conditions contraignantes.

D’abord, il est précisé les lignes que Transavia aura le droit d’opérer à partir d’Orly. Ce sont celles-ci et rien d’autre, mais à la condition expresse que cela ne diminue pas la charge opérationnelle de la compagnie mère. Il est ensuite indiqué que, au sein du Groupe Air France, seule Transavia France aura le droit d’exploiter des appareils de plus de 110 sièges, en dehors bien sûr du transporteur majeur. Enfin il y a tout un volet sur les conditions d’emploi et de séniorité des navigants techniques, les PNC n’étant pas mentionnés dans l’accord. En clair, si on peut dire, une prime de 35.000 € annuels sera accordée aux pilotes volontaires pour voler sur Transavia et ces derniers garderont leurs droits d’avancement dans le groupe Air France en étant sur la même liste d’avancement. Une dernière clause n’est pas anodine : 2 membres, pilotes salariés d’Air France, devront siéger au Conseil de Surveillance de Transavia. Ils feront partie d’un comité paritaire de 4 membres qui devra entériner tous les accords sociaux de Transavia avant leur signature par le PDG où les mandataires. Ils détiendront par conséquent le droit de blocage.

Eh bien, je pense que Carolyn McCall, Michael O’Leary et Alex Cruz, respectivement Présidents et CEO d’EasyJet, Ryanair et Vueling, doivent se frotter les mains. Avec un tel accord ils sont protégés pour longtemps, car il n’y a aucune chance que Transavia puisse d’une manière ou d’une autre, devenir un acteur européen significatif avec un tel boulet au pied. Il manque tout simplement aux initiateurs de cet accord un tout petit peu de réalisme. Peut-on empêcher les transporteurs européens de desservir n’importe quelle ligne s’ils disposent des « slots » ? La réponse est non. Peut-on empêcher ces mêmes compagnies d’avoir des conditions d’emploi de leur personnel navigant plus avantageuses pour les transporteurs, à condition de respecter les règles européennes ? La réponse est encore non.

Et puis, il y a plus grave. A la lecture de cet accord, on voir nettement que les pilotes veulent en fait cogérer Transavia et probablement Air France. Il n’est tout simplement pas possible d’avoir une saine gouvernance d’entreprise si tout le monde se mêle de tout. Les pilotes peuvent considérer qu’ils dirigeraient mieux les compagnies que les actuelles directions. Pourquoi pas ? Mais alors, ils doivent en tirer les conséquences. Ils doivent racheter les actions de ces compagnies et détenant la majorité du capital, ils pourront alors à loisir nommer leurs dirigeants et diriger leurs entreprises. Mais en attendant ils semblent avoir oublié que les actionnaires ont également des droits et qu’ils voient certainement d’un mauvais œil les conflits qui n’ont pour but que de freiner les développements des compagnies et ce au seul profit d’une certaine catégorie de personnel.

La France a déjà manqué beaucoup d’opportunités dans le transport aérien pour n’avoir eu pour seule politique que la protection de la compagnie nationale. Rappelons par exemple comment on a démantelé la direction d’AOM au moment où celle-ci allait devenir une réelle alternative. On voit où cela nous a mené. Il serait peut-être temps de remettre tout à plat.

Jean-Louis BAROUX