Construction aérienne: et si on allait vers une bulle en Asie ?

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On aime tous beaucoup la croissance, particulièrement dans le transport aérien. C’est le signe de la bonne santé économique non seulement présente mais annonciatrice d’un bon futur proche. Et nous sommes tous subjugués par le développement de l’Asie. Certes la Chine donne quelques signes de ralentissement, mais avec tout de même un taux de croissance attendu de l’ordre de 7%, ce dont nous nous contenterions volontiers en Europe.

C’est sans doute pour cela que nous avons assisté à une vague de commandes d’avions sans précédent pour cette partie du monde. Rien qu’au dernier salon du Bourget, les transporteurs asiatiques ont fait une razzia. Garuda : 90 appareils dont 30 A 350 et 30 Dreamliners, Lionair 234 A 320 Neo, Korean Air 50 A 321 Neo, 30 B 737 et 2 B 777. Même des acteurs inconnus sont entrés dans la danse tels le chinois Misheng Financial Leasing, filiale de Misheng Bank installée à Wuhan qui a commandé 30 B 737 ou Colorful Guizou Airlines acquéreur de 7 Embraers 190, ou encore Sriwijaya Air d’Indonésie qui a ajouté 2 B 737 aux 41 de sa flotte actuelle.
 
Bref, les chiffres donnent le vertige. Et ce n’est encore que la partie émergée. Je me suis penché que les commandes des compagnies asiatiques classées dans le top 100 des transporteurs aériens soit 26 acteurs. Toutes ensemble, elles opèrent actuellement 3.778 appareils d’une valeur catalogue de 733 milliards de dollars. Et bien elles en ont commandé 2.870 pour un montant toujours catalogue de 465 milliards de dollars, excusez du peu ! Autrement dit, les compagnies asiatiques vont mettre sur le marché un peu plus de 2 millions de sièges supplémentaires chaque jour, soit quelque 700 millions par an. Il va bien falloir absorber cela.
 
Mais il ne faut pas s’arrêter à cette analyse. Sur les 26 transporteurs examinés, seuls 5 sont des « low costs ». Or si les compagnies traditionnelles se sont contenté d’ajouter 50% de capacité à leur offre actuelle, les « low costs » ont, eux, commandé une capacité de 252 % supérieure à leur équipement présent.
 
Prenons quelques exemples : l’indonésien Lionair qui a défrayé la chronique en 2013, en signant une commande historique auprès d’Airbus dans le bureau du Président de la République, opère actuellement 104 appareils dont 102 monocouloirs essentiellement des Boeing 737. Eh bien elle a commandé 486 nouveaux avions : 229 chez Airbus et 257 chez Boeing. Augmentation de capacité de 369 %. Indigo la compagnie indienne qui a passé dernièrement la plus grosse commande enregistrée par Airbus n’exploite que 97 appareils et elle va en recevoir 430. Air Asia et Air Asia X sont équipés de 208 avions, or les deux transporteurs vont devoir en opérer 417 supplémentaires.
 
Je veux bien que les besoins asiatiques soient très importants, mais enfin, il faudra à la fois exploiter ces énormes flottes de manière rentable et bien entendu, il faudra les financer. Certes cela passera par un système de « sale & lease back », mais les banquiers ne travaillent pas pour rien et ils voudront être payés. Seulement ces transporteurs n’affichent pas des résultats mirobolants. En 2014, Lionair a dégagé un résultat net de 26 millions de dollars, Air Asia un profit de 25 millions de dollars et Cebu Pacific de 19 millions de dollars, quant à Indigo et Air Asia X, ils n’ont pas publiés leurs comptes.
 
Même avec une croissance de l’ordre de 15% par an, à supposer qu’elle se poursuive, combien faudra-t-il d’années pour absorber des flottes équivalentes à 300 % de croissance ?
 
L’enjeu est considérable pour les grands constructeurs, mais également pour les compagnies exploitantes. Or je serais très surpris que les donneurs d’ordre aient fait des études sérieuses pour savoir où ces avions seront employés. C’est ainsi que certains transporteurs ne savent pas quoi faire des appareils qui ont été commandés et qui, bien entendu, leurs sont livrés.
 
On me dira qu’un avion constitue un actif facilement déplaçable en cas de défaut de paiement. Mais il faut alors le replacer ailleurs. Et pour le moment les compagnies des autres continents se contentent d’une grande prudence dans leurs achats.
 
Souhaitons bonne chance et plein succès à tous en espérant que chacun a bien mesuré les risques.
 
Jean-Louis BAROUX