Contrôle aérien : la difficile marche vers le bon sens

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Un pays dont la circulation aérienne totalement bloqué un jour puis tout aussi brutalement débloquée le lendemain, sous peine de prison, voilà une situation peu ordinaire, celle de l'Espagne, qui ne pouvait qu'inspirer notre expert de l'aérien.

Contrôle aérien : la difficile marche vers le bon sens
Grandes causes et grands effets. Le gouvernement espagnol, pressé par les marchés financiers de rétablir une situation trop déficitaire, a lancé la privatisation de l’AENA, l’organisme qui gère les aéroports et le contrôle aérien espagnol. Ce faisant il a déclenché, sans le vouloir sans doute, une grève d’une grande sauvagerie à un moment crucial puisqu’il marquait le début d’un grand week-end et que les espagnols en avaient profité pour se déplacer massivement. Tout au moins telle était leur intention.

La réaction du public a été très vive et elle a conduit le Premier Ministre espagnol à décréter "l’Etat d’alerte" qui donne le droit aux Pouvoirs Publics d’arrêter les personnels des industries stratégiques qui refusent de travailler. Il fallait certainement cette mesure radicale, inconnue depuis la fin du régime de Franco, pour remettre instantanément les grévistes au travail.

Ces derniers, par l’intermédiaire du président de leur syndicat ont présenté leurs excuses aux clients et à l’ensemble de la population.

Quelles conséquences tirer de cette affaire ?

D’abord, la réaction du Gouvernement est à l’évidence totalement justifiée et il a bien eu raison de prendre des mesures radicales au lieu de se contenter de rappels à l’ordre inefficaces. Il a bien perçu que ce conflit était très impopulaire dans un pays où le taux de chômage est de 20% de la population active et où les contrôleurs gagnent des sommes sans commune mesure avec le travail réel qu’ils font. Rappelons que sur les 2300 contrôleurs espagnols, 135 gagnaient plus de 600 000 € par an et 713 entre 360 000 et 540 000 € par an, tout cela par le jeu de l’accumulation des heures supplémentaires payées 3 fois le tarif d’une heure normale. Signalons, pour donner une référence, que le Premier Ministre José Luis Zapatero se contente de 78 000 € annuels.

La question se pose alors de la pénibilité de ce métier car soit il est extrêmement stressant et dans ce cas il est dangereux de demander aux contrôleurs de faire des heures supplémentaires et il est inconséquent à ces derniers d’accepter ce surcroît de travail, ou bien ce temps de travail n’est pas très pénible et on se demande bien alors ce qui peut bien justifier de telles rémunérations.

Il fallait casser l’engrenage infernal. C’est chose faite comme d’ailleurs Ronald Reagan l’a fait en son temps aux Etats Unis. Il n’est en effet pas normal qu’une profession, si respectable qu’elle soit, s’arroge un pouvoir de nuisance susceptible de paralyser un pays.

Autre petite question : qui va indemniser les passagers ? La plupart d’entre eux ont du acheter des billets «non revalidables, non remboursables et non cessibles». Ils ne sont donc pas en droit de demander compensation à leurs transporteurs, lesquels ont d’ailleurs été les premiers pénalisés. Leur seule solution devrait consister à assigner le syndicat des contrôleurs aériens pour se faire rembourser leur billet et éventuellement demander des «dommages intérêts». Il n’est pas certain qu’une telle instance ne soit pas considérée comme acceptable par les Tribunaux. Mais alors on ne donne pas cher de la vie du syndicat car le seul remboursement de 200 000 billets à un prix moyen de 100 €, cela fait tout de même 20 000 000 €, largement de quoi mettre le syndicat en faillite.

Et si on extrapolait cette situation à ce qui se passe en France ? Certes, les contrôleurs français sont largement moins bien payés que leurs homologues espagnols, mais dans le même temps, ils travaillent beaucoup moins de temps. Et puis, au fond, la question n’est pas ce que gagne telle ou telle profession, mais bien le service qu’elle doit rendre. Personne ne peut vivre que de droits, il faut bien qu’il y ait des devoirs en compensation. Ce qui est demandé à cette profession, c’est tout simplement qu’elle fasse son travail, celui pour lequel elle est payée, bien ou mal. Mais ce qui est également demandé aux Pouvoirs Publics dont dépendent ces personnels, c’est de se faire obéir et de fournir le service pour lequel les transporteurs et les clients paient. Il faut sans doute de temps en temps prendre des mesures drastiques puisque le bon sens n’est pas toujours partagé. Il a fallu une situation exceptionnelle en Espagne pour que de telles dispositions soient prises. Il serait judicieux que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, on ne soit pas amené en France à de telles extrémités.

Il est inévitable que le contrôle aérien en Europe soit unifié et que les mêmes règles s’appliquent partout. Ce sera terriblement difficile. Espérons que cela se passera sans guerre.

Jean-Louis BAROUX