Des grèves, encore des grèves dans l’aérien. Pourquoi ?

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Quel mal frappe donc le transport aérien européen ? Pourquoi les personnels s’estiment-ils si malheureux au point de déclencher des mouvements sociaux à répétition ? Cela est le cas non seulement en France, toujours menacée d’un arrêt de travail de la part des contrôleurs de la navigation aérienne, des pilotes, voire du personnel au sol des compagnies ou des aéroports, mais plus étonnement en Allemagne.

Cette dernière vient encore d’essuyer la semaine dernière un conflit dans ses aéroports, lequel a entrainé tout de même l’annulation de 900 vols, rien que pour le groupe Lufthansa. A 180 passagers en moyenne, cela fait tout de même 162.000 passagers impactés qui n’ont pas pu atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés.
 
Les conflits sociaux ont pendant longtemps épargné nos voisins d’outre Rhin. Le modèle de résolution des difficultés a été constamment  montré en exemple. Pourquoi donc maintenant voit-on cette levée de boucliers ? On pourrait penser que l’énorme réorganisation dans laquelle s’est lancé le Groupe Lufthansa avec l’arrivée massive d’Eurowings dans le dispositif, aurait quelque impact dans la compagnie. Or voilà que ce sont les aéroports qui montent au créneau.
 
Quel malaise frappe donc le transport aérien européen ?

A y regarder de plus près, tous les personnels ne manifestent pas leur mécontentement, soit parce qu’ils n’en n’ont pas, soit parce que ce serait dangereux de le montrer. Prenons par exemple le groupe IAG. Depuis des années, une fois les grands conflits terminés chez Iberia, on n’entend plus parler de rien. Les comptes sont bons, les perspectives raisonnables et on a même vu Alex Cruz - l’ex président de Vueling, la « low cost » du groupe - prendre la présidence de la compagnie drapeau British Airways.  Un espagnol à la tête du fleuron du transport aérien britannique : qui aurait pu l’imaginer ? Donc, de ce côté-là, la situation semble être apaisée, tout au moins pour le moment.
 
Il existe un autre secteur très calme : celui des gros transporteurs « low cost ». J’ai nommé Ryanair et EasyJet. Certes, ces deux compagnies se portent très bien, mais elles ne sont certainement pas les plus sociales vis-à-vis de leurs salariés. Seulement la culture de la grève n’est pas dans leur ADN. Les employés peuvent gagner très convenablement leur vie, à la seule condition de travailler beaucoup. Et cela semble convenir à une population jeune, même si la plupart des navigants, par exemple, souhaiteraient intégrer les grandes compagnies traditionnelles et leurs avantages considérables.
 
Au fond, je note que plus les salariés ont des avantages, plus ils ont tendance à faire grève. D’abord et avant tout pour maintenir des statuts dont au fond, tous savent bien qu’ils sont privilégiés, même s’ils ont toujours tendance à se plaindre. C’est ainsi que l’on voit une grève se déclencher chez Air Caraïbes à la seule annonce de la création d’un « low cost » long courrier. Or c’est par la combinaison des modèles d’exploitation que les groupes de transport aérien pourront espérer prospérer dans l’avenir. Ceux qui ont réussi la performance de faire cohabiter au sein du même groupe les deux systèmes s’en portent très bien. C’est le cas d’IAG, évoqué plus haut.
 
La résistance au changement est considérable et à vrai dire compréhensible à partir du moment où les salariés pensent avoir plus à perdre dans le futur qu’à garder leur situation actuelle. Mais alors, le meilleur moyen de défendre leur mode de vie présent consiste à fournir un service sans faille, qui convienne aux clients. C’est ce que n’ont pas compris les chauffeurs de taxis. Lorsqu’ils se sont réveillés, c’était trop tard. Un nouveau modèle plus performant et par conséquent plus apprécié par les clients avait pris leur place. Et les combats d’arrière-garde n’empêcheront pas l’évolution inéluctable.
 
Les salariés du secteur traditionnel du transport aérien feraient bien de se rendre compte que, faute de fournir un produit impeccable, la tendance naturelle ira vers leur mise en cause. Combien de temps faudra-t-il attendre pour que les transporteurs du Golfe obtiennent des droits transatlantiques ? Que se passera-t-il alors ? On sait faire voler des drones de plus en plus sophistiqués, pilotés du sol. A quand les avions commerciaux sans pilotes ou avec un seul pilote à bord ? Le contrôle aérien pourra être entièrement automatisé dans peu de temps. Que deviendront alors les contrôleurs ?
 
La seule manière d’éviter le remplacement des hommes par les systèmes, c’est qu’il n’y ait pas de doute sur le fait qu’un homme fournira toujours une prestation supérieure à la machine. Encore faut-il que les clients qui, après tout, sont les seuls à faire vivre les transporteurs, ne soient pas confrontés à des conflits sociaux à répétition.
 
Jean-Louis BAROUX