Droit des salariés contre envies des clients, un sacré match

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Lorsque les compagnies low-cost font la guerre aux compagnies traditionnelles, ce sont de plus en plus souvent les conditions sociales des salariés - et elles seules - qui constituent la variable d'ajustement. A force de rogner sur les prix, les consommateurs vont -ils y gagner ? C'est toute la question que pose notre chroniqueur Jean-Louis Baroux.

Bjorn Kjos, le CEO et principal actionnaire de Norwegian, est un homme ambitieux et obstiné. A partir d’une petite compagnie régionale, il a construit un transporteur d’envergure européenne avant de devenir mondial. Il est le premier à avoir lancé le concept Low Cost sur des longs courriers si on veut bien excepter l’aventure de Freddie Laker avec son Skytrain, qui a dû arrêter son exploitation en 1981 sous la pression des grandes compagnies traditionnelles.
 
Bjorn Kjos il s’est donné les moyens industriels de réaliser sa percée puisque aux 100 appareils qu’il exploite actuellement, tous chez Boeing  dont 8 Dreamliners, il a commandé encore 33 B 737/800, 100 B 737 Max 8, 32 B 787-9 et 100 A 320 Neo. Autrement dit, il va tripler sa flotte en 4 ans avec une sérieuse composition long-courrier. Il est d’ailleurs curieux que les constructeurs le suivent avec cet empressement car au fond, les comptes ne sont pas si florissants que cela. Les derniers résultats publiés, ceux de 2014, affichent une perte de 169 millions d’€ pour un chiffre d’affaires de 2.108 millions d’€. La perte de cet exercice est supérieure au profit des 4 années précédentes qui se monte à 152 millions d’€.
 
Quoiqu’il en soit, Norwegian a déjà commencé ses opérations entre Gatwick et Los Angelès à des prix imbattables. J’ai fait une petite recherche sur les sites de la compagnie, et ceux de British Airways et Air France pour faire les comparaisons avec un départ de 31 mars et un retour le 15 avril. Les résultats sont édifiants. Le tarif le plus bas en classe économique est de 567€ pour Norwegian, 875 €pour Air France (départ de Paris) et 1136€ chez British Airways. En classe Premium, l’aller-retour Norwegian est de 1474€ et en classe affaires de 3729€ chez Air France et de 6076€ chez British Airways.
 
Alors, bien entendu, cela secoue le marché. Les agents de voyages sont tous d’accord pour dire qu’à 10 euros près, les clients peuvent facilement changer de transporteur. Qu’en est-il alors lorsque la différence est aussi importante ? Or donc, Norwegian est bien partie pour empocher la mise et les transporteurs traditionnels risquent de devoir aligner leurs tarifs s’ils veulent garder leur clientèle. Pour le moment la compagnie norvégienne n’a pas obtenu ses slots à Orly pour l’été 2016, mais elle va peut-être se lancer sur la ligne au départ de Roissy, ce qui ne devrait pas poser de problèmes de créneaux horaires.
 
Mais il est tout de même temps de s’interroger sur cette course folle aux tarifs les plus bas. Certes, les clients les demandent et même les salariés de IATA, à Genève, utilisent les services d’EasyJet plutôt que ceux des compagnies traditionnelles qui pourtant leur assurent les fins de mois. Sauf que pour arriver à ces niveaux tarifaires sans perdre d’argent, ce qui est le cas des grands LCC européens, il faut à l’évidence comprimer les frais de personnel qui sont finalement la seule variable d’ajustement. En effet toutes les autres grandes composantes du prix de revient sont à peu près identiques : que ce soit le carburant, les appareils, les diverses redevances aéroportuaires ou contrôle aérien.
 
Alors il faut savoir ce que l’on veut. Certes les grands transporteurs peuvent encore faire baisser leur prix de revient. Pour cela, les Français en particulier ont tout intérêt à délocaliser leur siège social et les principales bases d’emploi. Cela économisera un montant considérable. Mais alors les impôts et les charges sociales seront réglés dans d’autres pays. C’est certes envisageable si nos pays acceptent de changer de modèle social. Mais est-ce bien ce qui est recherché ? Au fond les clients du transport aérien, ceux qui réclament des prix encore plus bas, sont également des salariés qui n’accepteraient certainement que leurs prestations sociales soient rognées. Oh certes, il existe encore des niches privilégiées, des emplois artificiels, des rentes de situation accumulées par le poids de l’histoire chez les transporteurs traditionnels, mais petit à petit les abus rentrent dans l’ordre car les réalités économiques arrivent toujours à s’imposer.
 
Pour autant il n’est pas certain que les consommateurs aient à gagner à long terme à toujours rechercher la bonne affaire. Chaque service a son prix. A vouloir acheter les vêtements bon marché on a détruit les filatures et l’industrie de la confection. Y a –t-on gagné quelque chose ?
 
Faisons attention à ne pas détruire le transport aérien. Bien entendu, les compagnies traditionnelles ont encore des efforts à faire, mais il ne faudrait pas que le marché les pousse à se délocaliser pour assurer leur survie. Il est urgent que tous les transporteurs aériens français au moins et les agents de voyages éduquent leurs clients sur les réalités du transport aérien, sa complexité et sa nécessaire fiabilité. Et que tout cela a un coût.

Jean-Louis BAROUX