Emirates, la « world compagnie »

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Je sais, on va encore m’accuser de parti pris et pourtant je m’en défends. Reconnaissons-le objectivement, Emirates est devenue une compagnie hors normes par rapport à tous les autres transporteurs.

Certes, ce n’est pas la plus grosse compagnie. Les majors américaines transportent plus de passagers et le chiffre d’affaires du transporteur dubaiote ne le place pas non plus au premier rang. Mais une fois ces chiffres bruts évacués, il reste qu’Emirates est devenue - et de loin - la plus grande compagnie du monde. Je m’explique.

D’abord son réseau. Par définition il n’est qu’international. Il couvre tous les continents avec 145 escales toutes desservies au moins une fois par jour, dont 15 seulement au Moyen Orient, 18 dans le sous-continent indien, 38 en Europe, 21 en Afrique, 13 dans les Amériques et 30 en Asie-Pacifique. Juste pour donner une petite idée, il y 10 vols par jour entre Dubaï et Londres, tous en Airbus 380. Qui peut en dire autant ?

Ensuite la flotte. Oh certes, avec ses 292 appareils elle peut paraître modeste par rapport aux centaines de machines opérées par les Delta Airlines, United, voire les grands groupes européens. Seulement voilà, Emirates n’utilise que des gros porteurs : 133 Airbus 330/340 et A 380, ces derniers sont au nombre de 76 et 66 autres attendent d’être livrés, et 144 Boeing 777 d’un peu toutes les séries, auxquels il faut rajouter 15 Boeings 747 et 777 cargo. En fait la capacité moyenne par appareil est de 370 sièges, très largement au-dessus des autres transporteurs. La comparaison à partir des SKO (Sièges Kilomètres Offerts) serait encore plus à l’avantage de la compagnie des Emirats

Mais le plus étonnant, lorsque l’on utilise cette compagnie, est le sentiment qu’elle n’a pas de nationalité. Elle appartient au monde. Lors de mon dernier vol, je me suis penché sur le magazine de divertissement à bord. Il propose des programmes en 39 langues, 542 films dont 20 en français et 98 doublés en français, 145 films TV, 142 chaînes thématiques et de la musique de 22 pays. On sent dans cette énumération la volonté des dirigeants de ne surtout pas être marqués par la culture du Golfe, mais bien de faire en sorte que tous les clients, quelle que soit leur nationalité, se sentent accueillis comme au sein de leur compagnie nationale. D’ailleurs sur le vol Dubai Paris que j’ai pris dimanche 15 mai, le personnel navigant venait de 19 nationalités et parlait 12 langues.

Et puisqu’on en est aux superlatifs, que dire du «hub » de Dubaï ? Comment avoir une idée des facilités mises à la disposition des passagers en transit si on n’a pas fait l’expérience ? Les salons Première et Business ont été dessinés pour trouver toutes les facilités dont on peut avoir besoin : de nombreux restaurants bien entendu, des magasins, des espaces de détente, de travail, des douches, cela va sans dire, mais également un spa et des massages, sans oublier une salle fumeurs pour les intoxiqués. Le tout fait avec un sens aigu de la satisfaction des passagers. Un accès direct aux avions est par exemple prévu à partir des lounges avec des ascenseurs directs pour chaque porte d’embarquement.

Et puis, comment ne pas parler des prestations servies à bord ? Tenez un petit coup d’œil sur la carte des vins servis en Première : le champagne est du Dom Pérignon 2006, en vins blancs 4 choix : un Condrieu 2014, un Corton Charlemagne 2007, un Pouilly Fumé 2014 et un Grüner Veltliner Silver Bullet 2013 pour faire un clin d’œil à l’Australie. Pour les vins rouge, 5 grands crus : un Pavillon Rouge du Château Margaux 2004, un Châteauneuf du Pape, Elégance de Jeanne, 2012, un Ermitage l’Ermite de Michel Chapoutier 2006, un Dargent de Gruau Larose 2003 et pour terminer un Rioja Dalma Marquès de Murieta 2010. Et puis tant qu’à faire un Château Yquem 2005 ou un Porto Taylor’s de 40 ans d’âge pour accompagner les desserts. Qui peut s’aligner ?

Alors on peut se demander qui pourra arrêter ce qui parait comme une inexorable ascension. Il y aura tôt ou tard une levée de boucliers pour limiter les droits de trafic de la compagnie et, en particulier, lui interdire le marché de l’Atlantique Nord. Mais ce ne sera pas simple car Emirates est devenue le plus gros client à la fois d’Airbus et de Boeing. Difficile, dans ces conditions, de ne pas tenir compte des intérêts industriels. On l’a bien vu récemment avec les nouveaux droits accordés à Qatar Airways.

Le danger, si danger il peut y avoir dans le futur, ne peut venir que de l’intérieur de la compagnie. D’abord, petit à petit, on sent poindre une certaine arrogance dont on sait combien cela peut avoir de conséquences néfastes, surtout lorsque, comme c’est le cas, on a à faire à des concurrents très agressifs. Et puis il faut bien reconnaître qu’en matière de ponctualité, Emirates n’est plus une référence.

Quoiqu’il en soit, reconnaissons la supériorité de la compagnie de Dubaï et prenons-là comme modèle plutôt que comme épouvantail.

Jean-Louis BAROUX