Et si Julie était visionnaire ?

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L''article de Julie T, publié hier, à suscité pas mal de mails et d'interrogations. Pour résumer, vous êtes nombreux à dire que le voyage d'affaires, loin d'être monolithique, est multiple et bien différent d'une entreprise à l'autre. Constat acquis par les acheteurs mais peu pris en compte par les fournisseurs ou les gourous du domaine.

Globalement, Julie exprime les tendances à venir du voyage d’affaires : un self booking, maîtrisé ou non. Explications concrètes. Avec Trip Link, Concur démontre avec brio que chacun peut devenir son agence de voyage et ce qu’elle que soit la taille de l’entreprise… Tout en respectant la politique voyages imposée. C’est la version maîtrisée de « la liberté de choix ». On ne passe plus forcément par les fourches caudines de l’agence ou de l’implant, mais les applis mobiles proposées sont construites en fonction des demandes de l’acheteur.

Si l’on regarde les statistiques de l’Insee, ce sont entre 350 et 500 entreprises qui sont concernées par la maîtrise totale de la dépense. Pour les associations patronales, le nombre de grands comptes qui maîtrisent effectivement 100% de leurs dépenses globales est inférieur à une centaine. Au final, toujours selon les analystes (dont ceux de PhocusWright), on peut estimer aujourd’hui que les grands comptes pèsent environ 35 à 40 % des déplacements professionnels en France. 20 à 25% seraient pilotés par de petites structures comme Havas Voyages, Selectour ou des agences, et le reste en direct sur le web.
Reconnaissons que ces datas tiennent plus du doigt mouillé que de l’analyse précise. Qu’importe, la tendance est là : 30 à 35 % est de l’achat direct. Et c’est cette part des achats de voyage qui progresse le plus. On le voit avec AirBnb for business ou Booking qui voient les achats de professionnels augmenter de 6 à 12% par an.

Autre constat : la responsabilisation du voyageur. Chez Total, Orange, ou toute autre grosse structure, la notion d’économies maîtrisées par le voyageur est un leurre. D’où le besoin d’une politique voyages serrée, aux dérogations limitées. Comme le disait l'ancien acheteur voyages d’un fournisseur de matériel électrique, "Demander à un voyageur de surveiller ses dépenses est une tâche impossible car il me répond à chaque fois : la boite n’est quand même pas à 30 € près". On imagine les conséquences financières de cette somme multipliée par 200 voyageurs. Dans les PME/PMI, cette responsabilisation est plus forte et le voyageur/acheteur plus sensibilisé aux besoins d’économies. Une raison qui a fait que Google préfère aux USA travailler par budgets attribués aux business unit plutôt que par la mise en place d’une politique unique de voyage. Chacune possède la maîtrise de sa dépense.

Faut-il alors jeter les agences et l’eau du bain ? Question complexe mais dont la réponse tient en trois mots : dans quel but ? L’agence à un rôle à tenir, celui de fournir un service clé en mains à son client. Certes, pour le séduire elle a besoin de l’appâter. On l’a vu ces derniers mois avec les offres commerciales d’Amex GBT ou de CWT. On ne peut plus faire payer des fees élevés mais on cherche à fidéliser dans le temps. On voit aujourd’hui les TMC cherchant à s'affranchir des coûteux GDS et à développer leur propre techno « touchless » pour limiter les frais d’émissions. Il y aura toujours des grands comptes, y aurat-il toujours des TMC ? Sans doute moins qu’aujourd’hui.

Y a-t-il une étape intermédiaire ? Oui, dans le « small is beautiful ». Des vertus que Travel Planet, Voyages Expert ou Globeo notamment exploitent. Des TMC qui se sont construites sur la réactivité aux services et non sur le montant des seuls frais.
Et des perdants ? Les agences de proximité qui ne sont pas équipées face à l’internet mobile. Laurent Abitbol, le patron de Selectour (mais aussi d’Havas Voyages) l’a bien compris. En fédérant l’ensemble des structures au sein d’une coopérative d’achats, il se positionne sur le terrain du prix et des services. Avec l’apport technologique d’Havas Connect (construit autour de Maya d’iAlbatros) il se positionne sur la mobilité. Sans doute pas suffisant pour le moment face aux projets des concurrents.

Toutes ces réflexions entraînent une autre question : combien de temps pour voir s’installer durablement cette révolution ? Les spécialistes parlent de 3 à 5 ans. Un peu irréaliste face à la frilosité des acheteurs des grands comptes, qui prennent toujours plus leur temps qu'on ne le croit pour se saisir des nouveautés. Seule certitude, la part de marché de ces mastodontes va baisser avec la régulation des dépenses et les besoins d’économies imposés par les directions financières.

On peut donc imaginer que le scénario de Julie va demander un peu plus de temps qu’elle ne l’imagine. A moins qu’elle n’ait raison et que le marché aille plus vite que nos gourous ne le pensent.

Marcel Lévy

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