Et si Ryanair réussissait le pari du low cost long courrier ?

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Voilà plusieurs interviews de Michael O’Leary où ce dernier jette ses petits cailloux dans la mare du transport aérien en annonçant son projet de « Low Cost » long courrier. A coup sûr, cela fait comme on dit « du buzz ». Et comme toujours, personne n’y croit vraiment. Et pourtant, est-ce si impossible ?

Certes, les purs «Low Costs» long courrier n’ont jusqu’à présent pas réussi. L’échec majeur à cet égard vient d’Air Asia qui a dû annuler sa desserte entre Orly et Kuala Lumpur alors que, sur le papier elle avait beaucoup de sens. Mais d’ores et déjà des compagnies comme XL Airways se rapprochent beaucoup du modèle, sauf que ses moyens sont encore un peu trop limités pour avoir un impact fort sur le trafic.

Il faut dire que les annonces du patron de Ryanair ne manquent pas de panache. Son projet est ciblé et néanmoins ambitieux. D’abord la concentration sur le seul axe transatlantique. A cet égard, l’Irlande est particulièrement bien placée géographiquement. Un aller-retour Shannon-New York se fait en 13 heures. Et certaines villes nord-américaines comme Boston ou Montréal peuvent être desservies en encore moins de temps. Et puis Michael O’Leary envisage de démarrer de manière certes prudente, avec 3 villes britanniques à relier avec 3 ville américaines, mais cela reste cependant très significatif d’emblée et susceptible d’avoir un impact fort. Et dans le futur, le plan consiste à relier 10 villes européennes à 10 villes américaines. Ce n’est pas rien. Après tout il n’y a pas actuellement tant de villes européennes reliées directement au continent américain. Pour ce qui concerne la France, seuls deux villes et trois aéroports sont concernés : Charles de Gaulle, Orly et Nice. Et ce qui est vrai de la France l’est de tous les pays européens.

Et pour cela, Ryanair ou plus exactement la filiale long courrier créée pour l’occasion devra disposer de 7 appareils pour démarrer et de 7 nouveaux avions tous les ans pendant 7 ans. Si je compte bien, cela fait près de 60 machines. Cela veut dire que la compagnie envisage plusieurs vols par jour.

L’originalité de Ryanair tient à l’application de son modèle qui est tout de même très atypique. D’abord traiter des aéroports secondaires et cela évitera les congestions de trafic et les temps de roulage interminables. Cela permettra également d’être très performant sur la «on time performance», autrement dit le respect des horaires. Et puis il y a l’attaque tarifaire brutale : à partir de 10 euros l’aller simple en classe économique et 78 euros en classe affaires. Voilà qui est susceptible de faire bouger les lignes, même si la recette sera amplement améliorée par les fameux «ancilliary services».

Reste qu’il manque pour le moment l’essentiel : les avions. Non pas que Ryanair n’ait pas les moyens de se les procurer, avec un résultat net de l’ordre 600 millions d’euros depuis des années, les ressources du transporteur irlandais sont considérables et il est certainement jugé comme particulièrement crédible, voire même prioritaire par les grands constructeurs au premier rang desquels Boeing qui lui fournit tout de même déjà 300 appareils. Mais la liste d’attente sur le Dreamliner, seul appareil considéré semble-t-il par Ryanair est longue et la compagnie ne détient pas d’options dans la chaine de fabrication. En fait pour être prêts à partir en 2019, comme cela semble être le cas, les responsables devront passer leurs ordres sans tarder.

Ce qui frappe à l’analyse de la stratégie de cette compagnie, c’est avant tout son pragmatisme. Pendant des années, la compagnie a créé un modèle original en poussant au bout la logique du «Low Cost», jusqu’à envisager des pseudos sièges debout afin de densifier encore les appareils. Rien ne résiste à l’imagination fertile des responsables de la compagnie. Bien entendu cela s’accompagne de quelque cynisme, en particulier quant à la gestion du personnel. Mais finalement, même en traitant plutôt mal les salariés, y compris les pilotes, Ryanair trouve sans trop de difficultés les ressources humaines nécessaires. Et puis elle vient récemment de se convertir à l’utilisation des GDS et donc du réseau d’agences de voyages alors que pendant des années elle ne jurait que par la distribution directe. Notons qu’elle n’évolue pas sous la pression économique car ses résultats restent très confortables, mais elle a une grande capacité à anticiper sans s’attacher à un dogme quelconque, si ce n’est celui de la rentabilité.

Pour continuer sa croissance, le long-courrier représente un champ d’activité considérable. Pourquoi ne réussirait-elle pas ?

Jean-Louis BAROUX