Etre le bon hub, voilà tout l’enjeu des pays et des compagnies aériennes pour l’avenir

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L’évolution prévisible du transport aérien est connue. Une croissance régulière de 5% par an et ce pendant encore très longtemps conduira à doubler le volume de passagers tous les 12 ans. Et les chiffres donnent un peu le vertige. Nous partons d’une base actuelle de 3,5 milliards de passagers par an. Eh bien, en appliquant bêtement le taux de croissance sur lequel tous les experts sont à peu près d’accord, cela donne : 5,69 milliards en 2025, 7,26 milliards en 2030 et 11,82 milliards en 2040.

2040, ce n’est finalement pas si loin que cela. C’est dans 25 ans et si nous revenons 25 ans en arrière, nous sommes en 1990 soit au moment où la dérégulation européenne a commencé à se mettre en place. Rappelons qu’à cette époque, les transporteurs du Golfe étaient encore dans les limbes et que le plus important Gulf Air avait perdu sa crédibilité alors qu’Emirates commençait tout juste son existence et qu’Etihad n’existait tout simplement pas.
 
Or donc en 2040, il faudra transporter près du double de la population terrestre, c’est-à-dire plus de 3 fois le trafic actuel.
 
On sait très bien où se trouvent les sources de cette croissance : essentiellement en Asie et en Afrique. La Chine a compris le phénomène et s’est dotée d’une énorme infrastructure aéroportuaire qu’elle est encore en train de développer. Elle sera au rendez-vous d’autant plus qu’elle se dote d’une industrie aéronautique propre, sans compter les usines d’assemblage d’Airbus. L’énorme pôle de développement se trouvera sur le pourtour de l’Océan Indien. C’est là que se situent les populations prêtes à accéder au transport aérien. Les infrastructures de transport au sol sont faibles, et la géographie conduit nécessairement à utiliser la voie aérienne qui offre et de très loin, le meilleur rapport qualité/prix. Encore faut-il disposer des bons aéroports. L’Inde accuse un retard certain, mais elle le comble progressivement. L’Indonésie dispose d’un maillage aéroportuaire très convenable. Pour le reste, l’Asie devra encore s’équiper. Cela devrait faire les affaires d’Aéroports de Paris qui s’est bien positionné dans la construction d’aéroports.
 
L’Afrique sera amenée naturellement à un énorme développement aéronautique. Elle a plusieurs handicaps. D’abord une faible infrastructure aéroportuaire et un défaut certain dans le management de compagnies régulières. Certes, il existe en Afrique de très bons transporteurs, mais ils sont situés pour l’essentiel dans l’Est du continent. Il serait sans doute judicieux de créer un Fonds de Développement uniquement dédié à la création et au management des compagnies aériennes de façon à ce qu’elles disposent à la fois de stratégies adaptées aux besoins des populations et des moyens financiers suffisants.
 
Mais le développement du transport aérien se fera également sur du long courrier et pas seulement sur des lignes de courtes distances. Les compagnies du Golfe l’ont bien compris. Leur stratégie consiste à drainer les courants de trafic Est / Ouest en les faisant transiter par leurs « hubs ». C’est ainsi qu’ils se sont équipés d’aéroports et de terminaux aptes à faire transiter les populations intéressées en leur fournissant à la fois l’espace, les équipements et les services. Ce faisant, elles font accepter facilement un transit par leurs « hubs » qui sont devenus des étapes ludiques au lieu d’être vues comme pénalisantes. Elles vont poursuivre sur leur lancée demandant à leurs Etats de créer de nouveaux méga aéroports en utilisant ce dont ils disposent le plus : de l’espace.
 
C’est également la stratégie de la Turquie et de sa compagnie nationale Turkish Airlines qui connait un développement fulgurant. Pour le soutenir, le gouvernement construit au nord d’Istanbul une énorme plateforme dimensionnée pour traiter 150 millions de passagers. Géographiquement, le « hub » d’Istanbul est mieux placé que ceux du Golfe. De plus il se trouve au milieu d’un grand marché naturel en fort développement. Cela devrait lui assurer une place privilégiée dans le grand combat pour attirer les passagers de l’Asie vers les pays occidentaux.
 
Et pendant ce temps, que font les pays européens ? Rien à part crier après les compagnies et les aéroports mieux équipés que ce qu’ils ont à offrir. Heathrow est à saturation comme presque tous les aéroports londoniens, le dernier aéroport construit en Allemagne - Munich - date de vingt ans et le nouveau de Berlin n’arrive pas à être opérationnel. Et les Français continuent à se gargariser de plateformes vieillissantes de moins en moins adaptées aux exigences modernes. Nous avons l’espace à la différence de anglais, nous avons un grand marché naturel, Paris est « la » destination mondiale, et comment nous préparons-nous à être des acteurs significatifs dans les 20 années à venir ? Rien, nous n’avons aucun projet d’envergure. Tant pis pour nous, alors que la position géographique de Paris en tant que « hub » Est / Ouest est sans doute encore meilleure qu’Istanbul.

Jean-Louis BAROUX