Fiasco !

59

Remontons 10 ans en arrière. Ce printemps 2004 est faste pour Air France et son Président Jean-Cyril Spinetta. Le 5 avril, Air France conclut son offre publique d’achat sur KLM et le 6 mai la compagnie est privatisée et entre en bourse. Tout est pour le mieux. Progressivement, l’ensemble va même devenir pour un temps la première compagnie au monde en chiffre d’affaires. Bref tout le monde est sur un petit nuage.

Bon, certes, il y a bien quelques dangers à l’horizon, mais ils paraissent lointains et pour tout dire peu crédibles. Il s’agit d’abord du phénomène «low cost» qui pointe son nez en Grande Bretagne et qui a tendance à s’étendre en France et sur le continent européen. Mais les responsables du groupe Air France balayent d’un revers de main négligent ces petits qui veulent jouer dans la cour des grands. «Ce qui a pu réussir aux Etats Unis ne peut en aucun cas se passer en Europe. Ces compagnies vont se casser la figure, d’ailleurs elles perdent de l’argent et elles ne transportent que des «sac à dos» ». J’ai entendu souvent ce raisonnement. Et puis il a bien ces compagnies du Golfe, en fait Emirates pour parler clairement. Certes, elles sont dangereuses, mais c’est uniquement parce qu’elles sont subventionnées par leurs richissimes Etats. Les participants à un certain Cannes Airlines Forum se rappellent encore la diatribe que le Président d’Air France a prononcée, ce jour-là, à l’encontre de Tim Clark, le Président d’Emirates.

Soyons clairs, bien entendu les dirigeants d’Air France voyaient bien la concurrence arriver mais elle mettait en cause les fondamentaux même de la compagnie, et personne ne voulait prendre les décisions nécessaires. Le court courrier avait été pendant des années et particulièrement pendant la décennie 1990, la vache à lait du réseau. Les clients affaires payaient une fortune un aller-retour journée en Europe : entre 800 et 1000 de nos Euros actuels. Tous les allers simples étaient vendus au plein tarif. Il n’y avait pas d’alternative sauf sur le marché domestique où le TGV a gagné la bataille sur les distances jusqu’à 500 km. Le long courrier était déjà en concurrence et pour gagner de l’argent, il fallait diminuer les coûts. Alors au lieu de faire les nécessaires coupes internes, on a fait payer le client en diminuant progressivement les prestations.

C’est ainsi que le groupe Air France s’est mis dans un «corner», attaqué d’un côté par les «low costs» qui ont obligé la compagnie à aligner ses tarifs sur les concurrents honnis sauf à perdre les clients y compris affaires et de l’autre par les compagnies asiatiques et du Golfe qui pour des tarifs identiques voire un peu moins chers proposent une qualité de produit nettement supérieure. Et les clients sont libres de choisir.

Après les années de vaches grasses, sont venues les grosses, très grosses difficultés. Le Groupe AF/KL n’avait pas diminué ses charges, mais en dépit de coefficients de remplissage record, la recette n’a pas suivi. Entre le 01 janvier 2010 et le 30 juin 2014, le Groupe a perdu 3,6 millions d’€ par jour. Et la pente s’accélère. Le montant de perte journalière pour les deux derniers exercices connus : 2012 et 2013, a été de 4,14 millions d’€. La dette nette est de l’ordre de 55.000 € par salarié. Tout cela est à l’évidence connu et analysé par les dirigeants. Mais comment se sortir du guêpier ?

Un plan de diminution des effectifs a été lancé. Il est très coûteux car il faut acheter des départs volontaires, et il n’est pas suffisant. Il faut alimenter la machine. «Il faut lui donner du grain à moudre» comme aurait pu dire André Bergeron, l’emblématique ancien secrétaire général de FO. Et le développement potentiel est où ? Eh bien dans la copie des modèles qui marchent, tout simplement. C’est-à-dire dans l’amélioration sérieuse du produit long courrier, mais cela coûte cher, très cher si on veut hausser celui-ci au niveau des meilleurs : Emirates et Singapore Airlines et dans le développement d’une compagnie «low cost» digne de ce nom, c’est-à-dire d’un opérateur de rang européen : au moins 150 avions et des coûts de fonctionnement compétitifs incompatibles, quoiqu’ils en disent, avec les conditions d’emploi des pilotes d’Air France. C’est exactement le plan d’Alexandre de Juniac et de ses équipes.

Oui mais voilà, c’était sans compter avec la capacité de nuisance des pilotes. On aurait pu penser qu’ils verraient le danger et que s’ils n’étaient pas d’accord, ils auraient une stratégie alternative à proposer. Rien de cela. Uniquement la défense de leurs intérêts corporatifs, qui ne sont d’ailleurs pas mis en cause… Mais on ne sait jamais. Une bonne grève préventive ne peut pas faire de mal, à l’instar d’ailleurs de ce qu’ont fait les contrôleurs aériens dans le passé.

Le bras de fer aurait pu être gagné si le Gouvernement avait fermement soutenu la Direction. Il n’en a rien été. Le Secrétaire d’Etat aux Transports a donné lui-même le signal de la défaite. Bravo !

Et maintenant qu’il n’y a plus de stratégie pour le futur et que le présent est économiquement peu viable, que va-t-il se passer ? Monsieur Jean-Louis Barber, en dehors de renchérir encore Transavia alors qu’elle perd de l’argent, Monsieur Alain Vidalies, en dehors de demander à la Direction d’Air France de retirer son projet de Transavia Europe, que proposez-vous pour sortir le Groupe National de la situation dans laquelle vous l’avez mis?

Jean-Louis BAROUX