Geos communique sur l’Argentine et détaille les raisons de la crise actuelle

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Le 7 décembre environ 300 personnes – en majorité des boliviens et des paraguayens – ont occupé un parc public – « Indo américano"- dans le quartier de « Villa Soldati « dans la partie sud de Buenos Aires, là où vit la population la plus pauvre de la ville. L'intervention de la police a fait deux morts. Depuis, des vagues d'occupation et d'expulsions secouent la capitale argentine, provoquant l'insécurité.

Geos communique sur l'Argentine et détaille les raisons de la crise actuelle
A la demande de la mairie, un juge a ordonné l’expulsion des squatters du parc, et la mesure a été mise à exécution par la police fédérale, responsable de la sécurité publique dans la capitale. Au terme de l’opération ont été découverts sur les lieux les corps de deux citoyens boliviens tués par des chevrotines. A ce jour il n’a pas été possible de déterminer si ces mort sont imputables à la police fédérale, ou si elles étaient le résultat d’affrontements entre différentes factions de squatters Quoiqu’il en soit, face à ce bilan tragique la présidente -qui a toujours affirmé son refus de réprimer les mouvements sociaux- a ordonné le limogeage de 6 policiers et le retrait des lieux de la police fédérale.

Pour comprendre la crise qui vient d’agiter Buenos Aires ces derniers jours de Décembre, il faut avoir présent à l’esprit deux éléments : d’une part l’affrontement politique violent qui oppose le gouvernement national, conduit par Cristina Kirchner - composé de péronistes alliés à des mouvements de gauche, voire d’extrême gauche, y compris des anciens terroristes du groupe « Montoneros »- à la municipalité de la capitale gérée par Mauricio Macri, de centre droit, et probable candidat d’opposition aux prochaines élections présidentielles en 2011.

D’autre part la crise aigüe du logement qui affecte Buenos Aires, crise encore accrue par l’inflation (30% cette année) qui fait qu’un nombre croissant de personnes aux revenus modestes ne peuvent plus payer leur loyer et doivent, soit déménager vers la grande couronne, ou aller s’ajouter aux 150.000 personnes qui vivent dans les 14 bidonvilles de la capitale. Il y a eu en 10 ans une augmentation de 150% de ces populations, provoquant une véritable « favelisation » de Buenos Aires. Il convient d’ajouter que les habitants de ces villas sont en grande majorité étrangers : boliviens, paraguayens et péruviens et que ces bidonvilles sont devenus des foyers de criminalité, bases logistiques et lieux de refuges des délinquants, et, en particulier, des trafiquants de drogue.

Dans cette situation Buenos Aires connaît sporadiquement des usurpations de bâtiments ou de terrains. Certaines sont spontanées, d’autres sont provoquées par des militants Kirchnéristes qui, pour mettre Macri en difficulté, incitent des gens vivant jusqu’alors dans les banlieues, à venir dans la capitale en leur fournissant les moyens de transport et en leur promettant un logement.

Presque immédiatement les effectifs de la « police métropolitaine », police municipale crée récemment par Macri, chargés de la garde du parc Indo américain ont été submergés par une vague de squatters venus de toutes l’agglomération. Selon le recensement effectué on contera jusqu’à 13.300 occupants, parmi lesquels un grand nombre de femmes et d’enfants.

Face à ce véritable déferlement les habitants du quartier de Villa Soldati, déjà fortement affectés par une vague d’insécurité, révoltés à l’idée d’avoir à leur porte le plus grand bidonville de Buenos Aires, ont décidés de réagir eux-mêmes, et ont attaqués les squatters pour les chasser du parc. Il s’en est suivi une véritable bataille rangée entre deux bandes armées de bâtons, de pierres, mais aussi d’armes à feu. Les habitants du quartier ayant reçu le renfort ,plus ou moins spontané, de « barras bravas » hooligans locaux ,qui sont une force de choc à la disposition des partis politiques, des syndicats, ou d’autres groupes qui veulent bien les engager. Le bilan fut de 2 morts.

Devant le risque croissant d’un massacre, le gouvernement et la municipalité ont été contraints d’abandonner un moment leurs querelles, et, le gouvernement s’est résolu à envoyer sur les lieux un millier d’hommes de la Gendarmerie, et de la Préfecture navale – Garde Côtes – dont la mission était seulement de protéger les squatters des attaques extérieures et d’empêcher l’entrée de nouveaux occupants.

La prolongation d’un tel statu quo eut pour effet d’aviver la colère des habitants du quartier, qui attaquèrent à nouveau le parc s’en prenant, au passage, aux effectifs de la Préfecture navale. Dans le même temps la présidente ordonnait à ses ministres de rompre le dialogue entamé avec la municipalité et dénonçait un complot ourdi contre elle et son gouvernement.

Les 13 et 14 décembre dernier, les évènements se sont accélérés, les usurpations se sont multiplié dans Buenos Aires et dans la petite couronne provoquant chaque fois des réactions violentes des habitants des quartiers concernés.

Face au risque de voir la situation atteindre des proportions incontrôlables, une fois encore le gouvernement et la mairie durent travailler ensemble à trouver une solution acceptable par toutes les parties impliquées. Finalement, au terme d’une réunion tendue, dans l’après-midi du 14 décembre, le gouvernement et la municipalité s’engageaient solidairement à trouver une solution aux problèmes de logements des squatters du parc indo américain, mais à condition que ces derniers évacuent les lieux. En outre était affirmé le principe que celui qui se rendrait coupable d’une usurpation de terrain ou de bâtiment privé ou public se verrait immédiatement exclu, et privé pour l’avenir, de toute allocation ou aide sociale de quelque nature qu’elle soit. Cette fermeté nouvelle a été entendue puisqu’à l’aube du 15 décembre les derniers squatters avaient quitté les lieux.

Quel bilan tirer de ces évènements ?

La politique de « non répression » systématique du gouvernement a démontré ses limites. Sur le plan politique une des conséquences de ces événements a été la création par la présidente d’un ministère de la sécurité. Il existait auparavant, au sein du ministère de la justice et de la sécurité, un simple secrétariat d’état à la sécurité. Ce nouveau portefeuille a été confié à celle qui jusqu’alors était ministre de la défense, Nilda Garré. Ex membre des « Montoneros » où elle était connue comme « comandante Teresa » elle a su démantelé les forces armées, qui n’ont plus, selon ses propres déclarations, que deux heures de capacité de feu dans le cas d’un éventuel conflit. Tous les postes de responsabilité ont été confiés à des civils, et a été instauré un "délit de de patronyme » privant systématiquement d’avancement tous les officiers dont des parents ont participé, même de loin, aux gouvernements militaires. L’inspirateur déclaré de Nilda Garré est le journaliste, ex chef du service de renseignement des « Montoneros », Horacio Verbinsky. Cela explique qu’il règne actuellement une forte préoccupation au sein des forces de l’ordre fédérale placées directement sous l’autorité de ce nouveau ministère.

Serge Leteur, représentant GEOS en Argentine