Guillaume Pepy est-il un mauvais camarade européen ?

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Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Europe du rail connaît en ce moment quelques soubresauts. La belle entente affichée voilà quelques années n’aura pas tenu face à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire européen. Faut-il pour autant accuser le président de la SNCF d’être responsable de tous les maux que nous préparent […]

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'Europe du rail connaît en ce moment quelques soubresauts. La belle entente affichée voilà quelques années n'aura pas tenu face à l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire européen. Faut-il pour autant accuser le président de la SNCF d'être responsable de tous les maux que nous préparent aujourd'hui nos proches voisins ? La question n'est pas aussi simple qu'on pourrait l'imaginer car, face aux projets italien et allemand, il paraît naturel et normal que l'entreprise française prenne dès aujourd'hui des positions fortes pour ne pas se faire concurrencer sur ses propres lignes.
Le 17 juin dernier, dans un souci d'honnêteté vis-à-vis des consommateurs, la SNCF annonçait qu'elle ne prennait plus de réservation sur la ligne TGV Paris/Turin/Milan à partir du 1er juillet. Techniquement, cela voudrait dire que les passagers devront descendre de leur train à Modane pour remonter dans un autre convoi géré, lui, par la société italienne Trenitalia. Ubuesque, pour ne pas dire Fernandelesque ! En cause, la non-conformité du matériel français avec le nouveau système de signalisation italien. Une excuse de pacotille car la réalité est ailleurs : l'ouverture fin 2011 par Trenitalia d'une liaison privée, en partenariat avec Véolia, sur cette même ligne Milan/Paris. Notons d'ailleurs que les Italiens, astreints comme nous à l'ouverture à la concurrence, veulent faire voter des textes techniques très contraignants pour les opérateurs étrangers. Des textes d'ailleurs remis en cause par la communauté européenne. Depuis la coupe du monde de 2006, nos relations avec l'Italie sont parfois tendues. On sait en tout cas qu'elles finissent toujours par s'arranger.
Avec nos amis allemands, il n'en va pas de même. La volonté de la DB d'être présente sur les lignes transversales Francfort/Bruxelles/Paris n'est que la première manœuvre d'un sérieux plan de développement européen qui passe, pour les allemands, par l'exploitation de lignes ferroviaires en France. Ca énerve ! On pourrait donc se dire que beaucoup en veulent à Guillaume ! Et pour cause, le patron de la SNCF n'est pas resté les deux pieds dans les mêmes sabots. En prenant 20 % de la société NTV qui desservira en 2011 neuf villes italiennes, là SNCF s'attaque elle aussi au marché européen. Elle n'a pas caché qu'elle regardait comment opérer en Allemagne et qu'elle s'intéressait fortement au marché britannique qui regarde à nouveau du côté du train.
Toutes ces batailles économiques et politiques sont intéressantes pour le consommateur qui pourrait s'attendre à une baisse des tarifs et une optimisation sensible des liaisons ferroviaires. Pour beaucoup d'experts, il n'en sera rien. La concurrence portera sur des lignes déjà fortement couvertes qui seules permettent une réelle rentabilité. De plus, les exemples démontrent que les prix n'ont pas baissé avec l'arrivée de nouveaux opérateurs. A contrario, on peut imaginer que la multiplication des offres conduise à un appauvrissement de la qualité et à une absence de lisibilité tarifaire pour circuler en Europe. De là à imaginer qu'il faudra déposer les armes commerciales dans l'intérêt propre de sa structure nationale... Il n'y a qu'un pas que bon nombre de députés européens veulent franchir rapidement pour éviter des guerres fratricides qui ne serviront ni aux consommateurs, ni aux exploitants. L'idée d'une société européenne commune d'exploitation du rail est dans l'air. Encore faudra-t-il dépasser les nationalismes économiques.

Marc Dandreau