Japoniaiseries ou vrais changements ?

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Pendant des années, on a pétri le voyageur d'affaires de particularismes culturels indispensables à la bonne marche du business. On lui a appris, en Asie, à tendre une carte de visite avec les deux mains, à interpréter le sourire de son interlocuteur, à faire quelques courbettes indispensables aux salutations entre partenaires sans oublier la fameuse notion du temps indispensable au déroulé des affaires. La plupart des écoles de commerce font de cette approche culturelle un élément essentiel de l'apprentissage du monde des négociations. Mais voilà, depuis deux ans les jeunes japonais pétris de culture occidentale font bouger le commerce de papa au bénéfice de méthodes plus musclées venues principalement des États-Unis. De quoi en perdre son katakana.

Pour la presse économique japonaise ces nouvelles méthodes de business sont presque considérées comme choquantes en raison de l'importance accordée, par la vieille garde patronale, aux traditions japonaises en matière de gestion des affaires. Les grandes vertus du temps, indispensable à toute négociation qui se respecte, sont depuis des siècles associées à un sens aigu de l'observation du partenaire qui permet, à lui seul, de définir le bien-fondé d'un contrat ou d'une opération commerciale. Mais cette vision est désormais jetée aux orties par de jeunes cadres persuadés qu'il faut utiliser la méthode des clients pour s'imposer sur les marchés internationaux. La crise, incontestablement, a bousculé la tradition au bénéfice de l'efficacité.
Pour beaucoup d'écoles de commerce japonaise, cette révolution est essentielle et doit désormais se traduire dans l'enseignement proposé par le système éducatif japonais. Et l'idée commence à faire son chemin dans d'autres pays que le Japon. La Chine du Sud, et en particulier Shanghai ou Hong Kong, savent qu'il faut désormais être plus rapide dans les approches commerciales avec les occidentaux, faute de quoi ce sont leurs concurrents, eux aussi chinois, qui rafleront les marchés. Même son de cloche en Inde ou dans le groupe Tata on souhaite, tout en conservant ce qui fut le particularisme indien, s'adapter aux méthodes en vigueur dans les pays européens ou aux États-Unis. Il ne s'agit pas de brader ses propres valeurs au bénéfice de simples contrats commerciaux mais bien de ne pas déstabiliser les clients qui désormais, en cas de doute, savent que la concurrence existe dans d'autres pays asiatiques.
Ce changement radical de méthode, loin d'être encore parfaitement compris par les occidentaux, se développe si vite que les nouveaux programmes des MBA organisé en Asie, et plus particulièrement à Singapour, sont les copies conformes de ceux proposés par les plus grandes universités américaines. De là à parler d'une mondialisation de la culture des affaires, il n'y a qu'un pas. Que franchissent très allègrement nos compétiteurs asiatiques voire depuis peu africains.

Hélène Retout