Je prends le pari qu’à Air France, la grève n’aura pas lieu ou si peu !

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Comme à son habitude, Air France a lâché à la presse quelques bribes (déjà largement éventées) de son plan de relance pour l’après 2015. Présenté comme une révolution, ce nouveau plan qui vise à transformer radicalement le court et moyen-courrier ne sera qu’une mise à niveau de ce que la compagnie a déjà connu il y a quelques années avec Air Inter. Sauf qu’aujourd’hui, il s’appelle Hop!

Depuis le mois de mai dernier, le nouveau projet « secret » censé poursuivre l’action engagée par Transform 2015 circule dans les couloirs de la compagnie. Un seul mot d’ordre : diminuer les coûts d’exploitation, éviter l’explosion sociale et optimiser la relation client. Mais ne nous y trompons pas, n’est pas low cost qui veut. Si le long courrier retrouve des couleurs avec la montée en gamme engagée dans toutes les classes, faire bien et pas cher n’est pas à la portée de tous les transporteurs aériens. La culture du low cost est inscrite dans les gènes d’une entreprise. AF ne sait pas faire. Et les 120 millions de pertes annoncés pour le Moyen Courrier ne sont pas une surprise. Certes, la perte est diminuée par deux mais elle reste "forte" pour ne pas dire "complexe à rattraper". Pourtant, la compagnie n’innovera pas en confiant à Hop! la gestion du réseau court et moyen-courrier. C’était inéluctable. Devant le manque de lisibilité de l’offre, il fallait simplifier. C’est le projet qui sera annoncé le 11 septembre prochain. Date pourtant tragique dans le transport aérien.

Premier handicap : les syndicats. D’un côté, les pilotes veulent préserver leur pré carré et exigent depuis des mois que les appareils de plus de 110 places soient pilotés par des salariés d’Air France. Mais leurs demandes sont plus nuancées : «Il faut un capitaine qui montre le chemin et nous explique en quoi les efforts de tous bénéficieront à l’entreprise», explique un commandant de bord qui se dit «réservé sur la capacité de la direction à anticiper l’avenir ».
Au sol, la pression est elle aussi forte pour améliorer la productivité. Les grèves «semonces» de l’été sont venus rappeler que tout n’était pas rose au niveau du tarmac. La CGT «ne veut plus d’une pression qui s’exerce sur les salaires et les conditions de travail». Enfin, en interne le découragement des jeunes cadres se fait sentir. On ne vient plus chez Ar France pour y faire carrière. Pire, on quitte l’entreprise dès que l’on pense avoir trouvé mieux.
Dernière pierre d’achoppement : les escales. Pléthoriques souvent et qu’il faudra remettre à plat via des départs volontaires (assez faibles à cette heure) ou des redéploiements. Comme l’explique un cadre de haut niveau, «Alexandre de Juniac ne s’attaquera pas au sujet car il est trop sensible et cela pourrait lui coûter sa place. On peut être sûr qu’il va confer le dossier à un proche pour éviter les problèmes». Là encore, le nom de Lionel Guérin est cité. Il devra faire le ménage au-delà du seul point à point.

La grève ? Sans doute une menace pour faire réagir la Direction. Selon nos sources, les points de désaccords seraient peu nombreux et une solution de sortie de crise serait facilement envisageable. Seul point d’achoppement, la création demandée d’un «pilot group» pour les avions de plus de 110 places opérés par les 3 marques. Et si l’on ne s’entend pas, c’est que le SNPL verrait bien un alignement des salaires sur ceux des pilotes d’Air France. Impossible pour Transavia ou Hop !. Mais le SNPL est réaliste, pénaliser la compagnie par des grèves à répétition, c’est fragiliser l’entreprise et l’emploi. La corde est fragile, autant ne pas scier la branche sur laquelle est assis la reprise annoncée du groupe.

On pourrait presque parier que si grève il devait y avoir, sa durée serait très courte, juste un coup de force pour faire pression sur la Direction. Là aussi l’homme capable de faire avancer le dossier reste Lionel Guérin : ancien commandant de bord d’A320, il connait bien les pilotes. Sa gestion sociale d’Airlinair est citée en exemple. Recréer le «point à point» en intégrant les pilotes à la discussion (ce qu’il a fait pour le rapport remis en juin dernier) est toujours possible. Il ne serait pas étonnant d’ailleurs que l’on retrouve Soline de Montrémy à ses côtés. Elle connait bien le dossier du PaP et reste très appréciée par les équipes sur le terrain.

Autre souci, le pricing. Air France est généralement chère, plus chère que ses compétiteurs. Patrick Alexandre, le nouveau patron du commercial, assure que les contrats corporate sont utiles et indispensables mais réfléchit à l’évolution des marges arrière sur le volume consommé. Une approche que d’autres compagnies européennes commencent à intégrer en la mixant à des tarifs négociés sur les destinations les plus fréquentées. Plus juste, cette formule permet d’offrir aux entreprises des tarifs plus compétitifs lissés annuellement. Attention, rien n’est fait chez Air France mais le sujet est posé. Va-t-il évoluer ?

Air France plus chère que ses compétiteurs? La compagnie le sait et évoque des avantages qualitatifs qui ne séduisent pas toutes les entreprises. Mais le poids des charges empêchent toute révision concurrentielle des prix sans mettre en péril l’économie globale. Autre erreur, segmenter trop fortement les marchés. On sait aujourd’hui que le prix pilote les décisions. Certains voyageurs d’affaires utilisent Transavia, Hop! ou Air France sans se soucier des analyses marketing de la compagnie. Ni la clientèle «affaires», ni le grand public ne choisissent en fonction de leur catégorie socio professionnel. Les générations Y, biberonnées au low cost, sont devenus championnes du meilleur prix pour leurs loisirs comme pour leurs déplacements professionnels ! C’est une révolution silencieuse des habitudes d’achat qui se dessinent dans les entreprises.
Enfin, à Roissy, comme prévu depuis sa création, Hop! ne devrait pas apparaître comme un opérateur visible mais comme l’exécutant d’AF. Une structure qui permet à AF de gérer le commercial et le marketing du «point à point». Quid alors de la volonté d’apparaitre lisible dans l’offre «business»?

Faire de Transavia la cow cost du groupe est une bonne idée même si les hollandais ne comprennent pas toujours la stratégie française. Les relations entre certains cadres de haut niveau de KLM et d’AF sont souvent tendues. Le courant ne passe plus vraiment. On dit souvent que deux cerveaux valent mieux qu’un mais que deux (voire trois) têtes, c’est trop pour diriger.

Le tour de magie annoncé risque de décevoir. Faire ripper des appareils d’une marque à une autre, bouger des équipages et rester compétitif va demander des efforts d’imagination et des actes concrets. Mais ne nous y trompons pas. Ni Transavia, ni Hop! ne sont réellement indépendantes et le poids de la maison mère reste très présent. Lionel Guérin ou Antoine Pussiau auraient sans doute besoin de plus de liberté mais les batailles internes de pouvoir ne sont jamais simples au sein d’AF. Et pourtant, le seul point positif de cette décision se résume en un seul mot, le challenge. Pour le patron de Hop ! qui verra son rapport détourné de sa finalité, deux portes s’ouvrent. Celle du succès, c'est une ascension programmée vers le poste de «patron» d’Air France au départ (programmé dit-on) de Juniac. Soit il échoue et la prise en main (qui lui est effectivement confiée) du programme déficitaire d’Air France le transformera en fusible voire en bouc émissaire. Mais Lionel Guérin a des atouts. Homme de compromis, l’une de ses grandes qualités est de savoir décider… Ce qui est loin d’être toujours le cas au sommet de la compagnie. Et il possède une qualité essentielle : le bon sens. Savoir fermer une ligne pour en ouvrir d’autres, sans perdre des mois de réflexion, est son point fort. Mais il aura un obstacle, la volonté d’air France de ne pas se couper du Hub d’Orly ou de Roissy. Hop! aura pour misson d’être toujours un apporteur de voyageurs. Le fil est mince sur le moyen-courrier. De Juniac va désormais tracer les lignes à ne pas franchir. Mais il sait aussi qu’elles devront être mouvantes pour s’adapter à la situation.

Quoiqu’en pensent les syndicats, certains personnels et les clients chafouins, Air France est un fleuron. Reste que l’on ne saurait vivre sur le passé, fut-il le plus beau. L’avenir qui s‘écrit « in the sky » aura besoin d’imagination et de gestes forts et clairs. Ni les éventuels tours de passe-passe, ni les talents de communication ne sauront relier la base au sommet sans que chacun fasse des efforts. Tout l’enjeu est là. La rentrée s’annonce chaude. A tous chez Air France d’œuvrer pour qu’elle redevienne tiède. On agit toujours mieux la tête froide. Les clients eux, le savent depuis longtemps.

Marcel Lévy