L’A 380, l’avion du futur

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La polémique est bien lancée quant à l’avenir de l’Airbus A 380. Actuellement il est vrai, le nombre de commandes est bloqué à 317, ce qui n’est déjà pas si mal, avouons-le. Seules 156 livraisons ont été effectuées et pourtant cet appareil a défini un nouveau standard du voyage aérien, comme en son temps l’avait fait le Boeing 747.

On doit à la vérité de rappeler que la mise en service généralisée de ce formidable appareil 747 ne s’est pas faite sans mal. Il a fallu attendre la version 747-300 puis le 747-400 pour que son emprise sur le marché soit indéboulonnable. Alors, soyons un peu patients quant à l’A 380.  Il est d’ailleurs intéressant de voir quelles compagnies ont acheté cet appareil.

A tout seigneur, tout honneur, la palme revient et de loin à Emirates qui en a commandé 140, excusez du peu, soit près de la moitié et qui en fait voler près de 60. Si on rajoute les commandes des autres acteurs du Golfe : 10 pour Qatar Airways et 10 pour Etihad, cela fait 160 appareils réservés par ces acteurs entreprenants. En face qu’ont fait les européens ? Très peu de choses : 14 commandes pour Lufthansa, 12 pour Air France et 12 pour British Airways. Au total les compagnies européennes vont devoir se battre avec une flotte de l’avion leader qui ne représente que 38 appareils soit moins d’un quart de celle des concurrents du Golfe. Ne parlons pas des américains qui n’ont, à ce jour, passé aucun ordre.
 
Voilà qui reflète bien la différence d’approche des compagnies aériennes. Disons-le franchement, les transporteurs américains ne prennent aucun soin de leurs passagers. Ils se contentent de les transporter, il est vrai, dans les conditions de sécurité optimales. Mais par contre ils ne montrent aucune volonté quant à l’amélioration de leur qualité de service. Le réveil risque d’être douloureux, tout au moins sur les axes long-courriers internationaux. On peut toujours se dire que la concurrence n’arrivera jamais, mais cela consiste à faire la politique de l’autruche, laquelle n’a jamais donné de grands résultats.
 
Les européens sont eux beaucoup plus conscients du danger de perte de leur clientèle de haut de gamme. Il faut dire qu’ils sont confrontés depuis longtemps à l’offensive des transporteurs du Golfe, contrairement aux américains qui la découvrent tout juste. Alors les grandes compagnies européennes ont été obligées d’acquérir quelques A 380, à la mesure de leurs moyens très limités.
 
Car les transporteurs du Golfe ont fait de l’A 380 leur arme de conquête de la clientèle de haut de gamme en proposant des aménagements inédits, tels que les salles de bain d’Emirates ou les « First Appartments » et la « Residence » d’Etihad. Ce faisant, ils « ringardisent » le produit de leurs concurrents occidentaux. Mais de plus ils apprennent au marché que le transport aérien peut devenir un produit de plaisir contrairement à ce que les compagnies traditionnelles lui ont infligé pendant des années.
 
On peut légitimement faire le pari que les clients aisés vont y prendre goût et qu’ils seront prêts à payer, même cher, juste pour bénéficier de ce qu’il faut bien appeler un transport de luxe, comparable par beaucoup de points aux vols privés. Or seul, pour le moment, l’A 380 permet ce type de service et aucun appareil n’est prévu pour le concurrencer, tout au moins à moyen terme. Je ne serais donc pas surpris que le nouveau standard des « First » et « Business » classes soit celui imposé par ces compagnies conquérantes auxquelles il faut tout de même rajouter Singapore Airlines avec 24 commandes et 6 options et Qantas avec 10 commandes et 3 options.
 
Reste que ce formidable appareil devra bien évoluer, comme l’ont d’ailleurs fait tous les avions précédents. Tim Clark, le CEO d’Emirates réclame à cors et à cris une version « Neo » rallongée. Il est certain que, si elle voit le jour, elle entrainera à la fois une meilleure capacité d’aménagements luxueux mais aussi une baisse sensible des prix de revient. Combien de temps Tom Enders, le Président de EADS, la maison-mère d’Airbus va-t-il pouvoir résister à la pression de son plus gros client, lequel a les moyens de passer l’importante commande de lancement nécessaire ?
 
Le temps du transport de luxe revient sur le long courrier. On verra certainement le marché se répartir entre les « low costs » et les transporteurs de haut de gamme, y compris sur les vols transcontinentaux.
 
Les compagnies confinées dans le milieu de gamme ont vraiment du souci à se faire.
 
Jean-Louis BAROUX