L’arrogance tue !

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Les difficultés s’accumulent au-dessus d’Air Berlin. Et c’est dans le fond bien normal, vu l’état des comptes de cette compagnie qui augmente ses pertes au fur et à mesure de sa croissance, un peu disparate. Qu’on en juge : la compagnie Air Berlin inc. a été créée en 1970 sous la loi américaine car alors, faut-il le rappeler, aucune compagnie allemande ne pouvait se poser à Berlin, ville occupée par les 4 grandes puissances qu’étaient les USA, l’URSS, la Grande Bretagne et la France. C’est ainsi que la société a été enregistrée à Miami. Elle a alors débuté ses opérations en faisant des vols charters au départ de l’ancienne capitale allemande vers la Méditerranée.

L’arrogance tue !
La situation politique a fortement évolué avec la chute du Mur en 1989 et la réunification des deux Allemagnes dans la foulée, ceci entraînant la fin de l’occupation de Berlin et le retour de la ville au rang de capitale. Donc en 1991, Air Berlin devient une compagnie de droit allemand et poursuit ses opérations dans un contexte qui évolue vers une dérèglementation laquelle permet à ce transporteur d’ouvrir des vols réguliers.

Mais la croissance s’emballe au milieu des années 2000. D’abord un accord avec la compagnie autrichienne Niki en 2004 puis surtout, entre 2006 et 2007, le rachat de Deutsche BA (essai raté de British Airways de pénétrer le marché domestique allemand) et celui de LTU, compagnie spécialisée dans le long courrier. En 2009, un accord avec TUI Travel lui donne l’exploitation des appareils de TUIFly.

Tout cela fait de la croissance externe mais de façon tout à fait disparate. Les cultures d’entreprise sont différentes, les flottes ne sont pas homogènes et le passage du court courrier charter au long courrier régulier constitue un challenge particulièrement ardu à relever.

Et les résultats se font sentir. En 2006, la compagnie transporte 19,7 millions de passagers et fait un profit de plus de 40 millions d’€. En 2007, avec un bond à 27,9 millions de passagers, le profit chute à 21 millions d’€. Puis c’est la dégringolade : 75 millions d’€ de perte en 2008, 10 millions toujours de perte en 2009 pour arriver en 2010 à 97 millions d’€ de perte en transportant 33,6 millions de passagers. Preuve s’il en était que la grosseur n’est pas synonyme de rentabilité, alors que toutes les compagnies aériennes régulières veulent nous faire croire le contraire.

Il m’est arrivé plusieurs fois d’entrer en contact avec les responsables commerciaux d’Air Berlin afin de leur proposer une commercialisation dans les pays où ils n’avaient aucun marché. J’avais alors été très frappé par l’arrogance voire la condescendance des responsables que nous avions rencontrés. En substance, le discours était « Nous n’avons besoin de personne et d’abord, qui êtes-vous pour venir occuper notre temps si précieux ?».

Cette attitude m’avait fait penser à celle de deux autres compagnies avec lesquelles nous n’avions pas pu nouer de rapports car elles n’avaient absolument pas besoin de services extérieurs et elles n’avaient aucune intention d’écouter, avec même une légère attention, ce que nous avions à proposer. Il s’agit de Swissair et d’Alitalia. On a vu ce qui est arrivé à l’une et à l’autre de ces compagnies pourtant si belles en leur temps lorsqu’elles évoluaient sous la protection des leurs états respectifs.

Dans le fond, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Déjà en son temps, Pan Am n’a pas vu arriver la concurrence internationale. Toutes les compagnies qui ont méprisé ceux qui ne « jouaient pas dans leur cour », ont été rattrapées par des difficultés considérables quand elles ne sont pas purement et simplement passées à la trappe. Le mépris des «legacy airlines» pour les «low costs» a été insondable. Beaucoup n’y ont pas résisté, d’autres s’en sont sorties de justesse avec l’aide in-extremis de leurs Etats de tutelle. Mais l’époque est devenue plus dure et les protections, même si elles existent encore avec le contrôle des « slots » aéroportuaires, sont de moins en moins efficaces.

Les grands transporteurs doivent retrouver une humilité que l’on ne leur connaît que lorsqu’ils sont dans d’extrêmes difficultés. Une fois celles-ci passées, ils retombent dans leur arrogance naturelle.

Je souhaite vivement qu’Air Berlin survive à cette passe difficile, mais ce ne sera possible qu’en changeant d’attitude. Voilà qui est à méditer par les grands responsables des grandes compagnies aériennes.

Jean-Louis BAROUX