L’avenir des très gros porteurs

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La bagarre entre les deux très gros constructeurs d’avions que sont Airbus et Boeing est tout simplement gigantesque. Elle se passe sur toute la planète avec des stratégies dont l’échelle de base est la dizaine d’années. Les enjeux financiers dépassent l’imagination. Il s’agit ni plus ni moins de mettre sur le marché 20.000 nouveaux appareils dans les 20 prochaines années, avec une valeur moyenne de 100 millions de dollars par machine. Tout bien calculé, cela fait 2000 milliards de dollars, autant dire que personne ne peut se figurer de telles sommes.

Raison de plus pour ne pas se tromper dans la stratégie industrielle. Or curieusement, les deux frères ennemis ont pris des directions différentes. Certes, tous deux sont d’accord sur le court moyen- courrier et tous deux ont finalement la même réponse : Airbus avec sa série 320 améliorée et Boeing avec les 737 revisités. Le tout avec des capacités allant de 130 à 200 sièges. La domination des deux grands est telle sur ce secteur que l’on voit mal la percée des constructeurs asiatiques sur ce segment.

Plus intéressant est de voir ce qui se passe sur les gros porteurs. Quelle est la bonne taille ? Faut-il construire des bimoteurs ou des quadri réacteurs ? Airbus a choisi délibérément le très gros porteur avec son A 380 en analysant la demande de transport long courrier et l’encombrement de l’espace aérien. Mais avec les mêmes données, Boeing a bâti une réponse différente qui consiste à développer une version plus puissante et plus allongée du fameux B 777. Autrement dit, Boeing mise sur un appareil de capacité moyenne, encore faut-il nuancer le propos, car nous parlons de capacités de 400 sièges, alors qu’Airbus a misé sur le très gros porteur.

Il semblerait que la stratégie de Boeing soit gagnante, tout au moins pour le moment. Au salon de Dubaï, le constructeur américain s’apprête à engranger des centaines de commandes pour le nouveau B777XX qui ne sortira qu’en … 2020. Airbus connait un premier succès pour 2013 avec son A 380, un avion très moderne facile à exploiter au dire des compagnies qui l’utilisent et très apprécié par les passagers pour son espace hors du commun et la qualité de la pressurisation. Alors Airbus se serait-il trompé ?

Je ne prétends pas avoir toutes les compétences pour juger de la stratégie des constructeurs. Mais rien n’empêche de faire marcher ses réflexions.

Dans les 10 ans à venir, le transport aérien aura doublé son chiffre d’affaires à 1,400 milliards de dollars et dans 12 ans doublé de volume avec 6 milliards de passagers. Pendant ce temps, relativement court, on voit peu de grands investissements aéroportuaires si ce n’est dans le Golfe. Mais rien d’annoncé en Europe Occidentale voire même aux Etats Unis. Les pays émergents eux-mêmes, que ce soit l’Inde ou le Brésil ont des infrastructures aéroportuaires terriblement défaillantes. Et pourtant la demande de transport sera bien là.

Alors, c’est mathématique, il faudra transporter tout ce monde sans pour autant doubler le nombre de mouvements car les plateformes terrestres ne pourront pas les accepter. L’espace aérien lui-même commence a être sérieusement encombré, mais il a encore de grandes améliorations potentielles quant à sa gestion. La solution ne serait-elle pas dans les très gros porteurs ? Non pas uniquement sur les longs courriers mais même sur les courtes et moyennes distances.

Au fond l’A 380 a été conçu pour pouvoir transporter 1000 passagers alors que les compagnies utilisatrices l’ont équipé de 500 à 550 sièges. Il parait évident que dans l’avenir, un transporteur demandera une configuration à 800 sièges. Cela aurait d’ailleurs dû déjà exister sur la Réunion avec Air Austral, si l’ancienne direction était restée en place. C’est finalement le seul moyen de faire baisser encore significativement le prix de vente et donc de participer à la démocratisation du transport aérien. On voit bien l’intérêt immédiat qu’il y aurait à opérer ces appareils à haute densité sur les Antilles et l’Océan Indien, mais il y a dans le monde quantité de routes long-courrier susceptibles d’utiliser ce type d’appareils.

Mais pourquoi ne pas imaginer également des A 380 équipés en 900 à 1000 sièges sur les très grosses destinations court-courrier ? Après tout, les Japonais ont bien fait voler pendant des années des B 747 équipés de 614 sièges sur leur réseau domestique.

L’A 380 est un trop bel avion pour ne pas avoir une grande carrière.

Jean-Louis BAROUX