La baisse des prix du transport aérien inquiète les acheteurs du voyage d’affaires

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Concur Fusion, qui a débuté ce 14 mars pour quatre jours à Chicago, abordera sans doute dans les couloirs cette information qui pourrait surprendre : la baisse constante du prix des billets d’avion inquiète les acheteurs du voyage d’affaires plus qu’elle ne les satisfaits. L’explication est simple, face aux revenus en baisse, les compagnies aériennes réajustent leurs programmes de vols, diminuent le nombre de classes ouvertes et réfléchissent à leur développement comme si elles étaient devenues de simples low cost.

Si l’on regarde le marché du transport aérien américain, on remarque rapidement que quatre compagnies le contrôlent aujourd’hui et qu’une seule d’entre elles gère la majorité des sièges proposés dans 40 des 100 plus grands aéroports américains. On pourrait croire à la lecture de ces chiffres que peu de nouveaux entrants, qu’ils soient nord-américains ou issus de tous les pays du monde, pourraient venir bousculer cet ordre établi. D’autant plus, qu’en cinq ans, en limitant la transparence des tarifs aériens, ces quatre grands opérateurs ont globalement réussi à imposer leurs prix sur un marché en hausse croissante. Imposer ? Pas tout à fait. Toute entente économique étant impossible en raison des lois américaines, c’est donc la concurrence qui s’est imposée entre elles. C’est elle qui, aujourd’hui, est un peu responsable de leur malheur.

Si les vols internationaux sont moins touchés que les autres par les économies drastiques qu’engagent les compagnies aériennes sur le domestique, c’est sans doute en raison d’un marché porteur qui pourrait laisser croire qu’il ne faiblira pas. IATA confirme la bonne santé du transport aérien mondial, même si son Président évoque un possible ralentissement lié aux crises économiques que traverse le monde. À en croire les spécialistes américains de l’aérien, la problématique est avant tout économique. Premier constat, une lapalissade, un avion peu densifié perd de l’argent. Il faut donc par tous les moyens trouver une solution pour le remplir. La plus simple, du moins celle qui vient en premier à l’esprit, c’est la baisse des prix sur l’ensemble des classes. Plus de capacité et des prix en baisse. C’est logique.

Ce schéma économique, appliqué depuis des décennies par les compagnies du Golfe, montre aujourd’hui ses limites avec l’arrivée des low cost long-courrier. Certes, elles ne visent pas les voyageurs d’affaires mais siphonnent les classes arrière dont les spécialistes ont toujours affirmé que les revenus assuraient le fonds de commerce d’une ligne. Selon IATA, la baisse des prix des billets d’avion sur cinq ans frôlerait aujourd’hui les 10%. Un chiffre identique à la baisse du BSP français sur la même période. L’information surprend mais force est de remarquer qu’un Paris New York coûtait en 2005, à monnaie constante, près de 25 % plus cher qu’aujourd’hui. Les amateurs de précision vous feront remarquer qu’il y a toujours eu sur l’axe transatlantique des compagnies capables de baisser suffisamment les prix pour prendre d’importantes parts de marché. Ce fut le cas de la défunte Tower Air dont on ne peut pas dire que la guerre des prix lui a porté chance.

Alors d’où vient l’inquiétude ? Selon les acheteurs américains, cités par la Business Travel Coalition, la disparition d’un trop grand nombre de lignes domestiques conduirait à une augmentation du temps de voyage et engendrerait des coûts supplémentaires qui, aujourd’hui, sont loin d’avoir été anticipés. On retrouve là la fameuse sortie de Trump sur « la faiblesse du ferroviaire dans un pays comme les USA ». À l’international, la réduction des capacités n’est pas confirmée de manière massive et si elle devait s’imposer, il est vrai qu’elle rendrait difficile les achats de dernière minute indispensables aujourd’hui à l’activité économique du pays.

Comme le dit avec justesse Jean-Pierre Sauvage, le patron du BAR France qui représente toutes les compagnies présentes dans l’Hexagone: "Quand la capacité baisse, les prix augmentent. Il est donc paradoxal de s’inquiéter de la baisse du prix des billets d’avion".

L’inquiétude s’explique en une formule : mettre en péril les compagnies américaines par une concurrence féroce, c’est les affaiblir et donc affaiblir les capacités des entreprises à se déplacer. Là aussi, c’est logique. Au-delà, pour beaucoup de spécialistes du business Travel, les choix économiques et politiques engagés par le nouveau président devraient peser sur le résultat des compagnies aériennes américaines. On a vu que les décisions hâtives du Muslim Ban de l’administration Trump ont conduit à une chute spectaculaire des arrivées en provenance du proche et du Moyen-Orient. Au point qu’une compagnie comme Emirates reconnaît que cette baisse de trafic pèsera sur ses résultats 2017. Peut-on dans la foulée penser que c'est une chance, pour les compagnies américaines ? À la seule condition que la reprise du domestique, là où la bataille reste féroce en matière de prix, permette une augmentation des tarifs. Mais la tendance est inverse et sur les lignes les plus longues, comme le New York - Los Angeles, l’arrivée annoncée de compagnies à bas prix inquiète déjà American Airlines qui a joué la carte du haut de gamme pour les voyageurs d’affaires.

Que faut-il alors proposer ? Si l’on en croit les spécialistes du revenue management, seule une hausse de 15 à 20 % des tarifs aériens permettrait un développement massif de l’offre et la mise en place de lignes aujourd’hui disparues mais capables d’être ré-ouverte en quelques semaines. C’est aussi l’un des pires scénarios pour les acheteurs qui verraient leur budget déplacement professionnel augmenter sensiblement sur des trajets largement benchmarkés depuis des années et dont ils connaissent le coût moyen du segment jour après jour.

Comme le dit si bien Kevin Mitchell de la BTC, "Toute la difficulté de la politique de ciel ouvert a été de maintenir un marché fort pour le transport domestique tout en ouvrant le monde aux compagnies américaines. Cela s’est construit autour de la libéralisation du marché de l’aérien sans qu’aucune barrière ou garde-fou n’ait été proposé pour protéger le consommateur et les opérateurs".

Paradoxal mais pourtant bien réel pour les acheteurs !

A New-York,
Philippe Lantris