La création d’un monstre

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L’affaire va apparemment se conclure, je veux parler de la fusion entre American Airlines et US Airways. L’ensemble va tout simplement constituer la compagnie la plus importante au monde, supplantant United Airlines. Jugez plutôt.

La création d’un monstre
Une fois la fusion réalisée, la nouvelle American Airlines - puisque c’est ainsi qu’elle devrait s’appeler - transportera 180 millions de passagers avec 1 250 avions. Le groupe emploiera 124 000 salariés et réalisera un chiffre d’affaires de près de 40 milliards de dollars. Bref, sur le papier, tout paraît idyllique. Mais il faut y regarder de plus près.

D’abord les deux compagnies sont passées par la phase du dépôt de bilan américain, autrement dit le « Chapter 11 », ce qui prouve à l’évidence une certaine fragilité économique pour le moins. Certes, cela est assez lointain pour US Airways qui a déposé le 4 octobre 2004, par contre American est toujours sous la protection de cette loi où elle est entrée le 29 novembre 2011. Enorme paradoxe que le management de ce nouvel ensemble. L’actuelle US Airways est le fruit du rapprochement avec America West Airlines, laquelle l’a au fond racheté lors de leur fusion le 19 mai 2005. En fait, le plus petit a mangé le plus gros, même si le nouvel ensemble a pris ne nom de la compagnie rachetée. Et le management est naturellement allé à Doug Parker, l’ancien CEO d’America West Airlines devenant le CEO de la nouvelle US Airways.

Le même scénario va d’ailleurs se reproduire si le rapprochement se conclut. US Airways est au moins deux fois plus petit qu’American Airlines, or c’est encore Doug Parker qui est pressenti pour prendre les commandes. Le nouvel ensemble sera détenu à 72% par les créanciers actuels d’American Airlines et à 28% par US Airways. Une nouvelle fois, David mange Goliath.

Pour autant, le rapprochement ne sera pas simple. D’abord une première constatation : US Airways fait partie de la Star Alliance alors que American Airlines est un des piliers de OneWorld. Il faudra bien choisir entre les deux alliances. Petite question au passage que deviendront les miles gagnés par les clients à l’intérieur d’une alliance si la compagnie doit la quitter ?

Deuxième écueil et de taille, la composition des flottes. US Airways dispose de 350 appareils essentiellement de la famille Airbus et elle en a plus de 80 en commande, alors que toute la flotte d’American Airlines est chez Boeing et Embraer pour ce qui concerne American Eagle sa filiale. Et elle se monte à 900 avions. Comment créer un ensemble homogène alors que les philosophies mêmes des deux grands constructeurs mondiaux sont très différentes ?

Et puis, il y a toujours la sempiternelle question du personnel. 90 000 salariés chez American Airlines et 32 000 chez US Airways. Depuis des années, on a appris aux uns comme aux autres que leurs concurrents étaient leurs ennemis, et voilà qu’il faudra maintenant faire ami-ami avec eux. Rappelons-nous simplement combien la fusion entre Air France et Air Inter a été douloureuse. Plus de 20 ans se sont passés et les cicatrices ne sont toujours pas refermées, alors que les deux transporteurs étaient complémentaires et non pas concurrents. American Airlines est présente dans 40 pays et US Airways dans 31. Autrement dit il va y avoir une grosse casse sociale, comme on dit pudiquement. Cela n’arrangera certainement pas la cohésion des équipes.

Enfin les résultats de départ ne sont pas mirobolants. US Airways affiche bien un profit de 111 millions de dollars mais cela ne représente que 0,85 % de son chiffre d’affaires, ce qui est très modeste. American, quant à elle, annonce une perte de l’ordre de 2 milliards de dollars, ce qui n’est pas brillant non plus.

Alors, bien sûr on va ressortir les éternelles synergies. Nul doute que lors des deux premiers exercices, en éliminant les doublons, le nouvel ensemble va singulièrement améliorer son exploitation. Et tout le monde criera «cocorico». Oui mais après ? Le management d’un tel monstre paraît tout simplement impossible, tout au moins de manière rationnelle. Il faudra multiplier les systèmes de contrôle, les réunions de coordination et aplanir les conflits. Les prises de décisions seront, à l’évidence, plus longues ce qui signifie une beaucoup moins bonne réactivité. Et je ne parle pas de l’intérêt des clients qui est bien la moindre préoccupation des acteurs.

Tous les exemples sont pourtant là. Où sont les réussites pérennes des énormes ensembles créés ? Air France/KLM, IAC, les gros américains ? Franchement je n’en vois pas. Les dinosaures sont morts, et les insectes ont survécu.

Jean-Louis BAROUX