La culture de la grève dans les compagnies aériennes

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Finalement les pilotes affiliés au SNPL (Syndicat National des Pilotes de Lignes) ont annulé la grève très dure qu’ils envisageaient de mener pendant tout le mois de mai. On a envie d’applaudir à cette décision de bon sens. Mais on peut également se demander ce qui a bien pu leur passer par la tête pour déclencher un tel mouvement.

Les motifs étaient pour le moins un peu spécieux. D’abord l’abrogation de la loi Diard qui oblige les grévistes à se déclarer 48 heures avant leur arrêt de travail. Voilà qui est scandaleux ! En effet cela permet aux compagnies d’anticiper et de construire un programme de vols pas trop détérioré puisqu’elles connaissent les pilotes sur lesquels elles pourront compter. Et dans le cas où les vols devraient être annulés, cela laisse le temps de prévenir les passagers et éventuellement de les reporter sur d’autres vols. Bref cela limite les nuisances à la fois pour les transporteurs mais aussi et surtout pour leurs passagers. Et c’est bien ce dont les membres du SNPL ne veulent pas. A quoi cela sert-il de faire grève si celle-ci ne crée pas de forts dérangements ?

Deux autres prétextes, plus conviviaux étaient rajoutés, manière de faire passer la pilule : une diminution des taxes pour les transporteurs français et qui pourrait être contre si ce n’est le Gouvernement et une procédure allégée pour passer les postes d’inspection filtrage. Les mesures administratives peuvent être prises par les Pouvoirs Publics français, mais elles s’arrêtent aux frontières de notre territoire et elles ne pourraient avoir des effets importants que si elles étaient appliquées partout dans le monde. On en est loin.

On voit bien qu’il fallait enrober la demande principale avec d’autres exigences facilement explicables et même populaires car tout le monde peut souscrire à une baisse d’impôts et un allègement des procédures. Mais le fond n’était pas là. D’ailleurs il suffit pour s’en convaincre de constater pourquoi finalement la grève n’a pas eu lieu : après une concertation avec le nouveau/ancien Secrétaire d’Etat aux Transports : Frédéric Cuvillier, ce dernier a proposé aux syndicalistes de faire pression sur les compagnies aériennes afin que ces dernières ne détournent pas la loi Diard pour contourner le droit de grève. Mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Ou bien on abroge la loi et dans ce cas les syndicats retrouvent leur potentiel de nuisance avec les conséquences que l’on a connu dans le passé ou on la garde et la situation reste en état.

En fait, on se demande ce que veulent les représentants du SNPL. Les pilotes sont-ils mal traités ? Sont-ils mal payés ? Sont-ils mal considérés ? Au fond, de quoi peuvent-ils se plaindre ? Certes ils sont plus embêtés que les passagers aux filtres de police qu’ils doivent passer plus fréquemment. Mais dans ce cas il faudrait faire évoluer d’abord les règles de l’OACI et cela ne peut certainement pas se faire à partir d’une grève. Pour le reste, gageons qu’ils se moquent bien des taxes payées ou non par leurs compagnies. S’ils étaient si conscients de la fragilité des transporteurs non seulement français mais européens, ils ne contribueraient certainement pas les affaiblir encore par leurs menaces d’arrêts de travail.

Car le mal est fait dès l’annonce d’un préavis de grève. Les clients peu soucieux d’essuyer des perturbations se retournent de suite vers des compagnies concurrentes. Et celles-ci existent bel et bien, et elles sont puissantes qu’elles soient du Golfe, d’Asie ou des USA. Or beaucoup d’entre elles proposent une qualité de services largement supérieure à celle des transporteurs européens. Une fois que les clients ont essayé, par la crainte de perturbations, un concurrent, il est très envisageable qu’il lui demeure fidèle. Bref, même si la grève n’a pas eu lieu, et c’est tant mieux, les dégâts restent considérables.

Mr Frédéric Gagey le PDG d’Air France a bien eu raison de tirer la sonnette d’alarme. Au moment où Air France entreprend la reconquête de sa clientèle de haut de gamme en présentant sa nouvelle Première et où dans le même temps elle poursuit la baisse des charges, ce qui est un exercice particulièrement difficile, une perturbation telle que celle qui était envisagée était particulièrement mal venue.

A moins que Mr Yves Deshayes, le président du SNPL n’ait finalement jamais eu l’intention de faire grève, mais uniquement celle de montrer ses muscles en vue de discussions futures.

Jean-Louis BAROUX