La guerre des géants

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Elle est déclarée et elle promet d’être sanglante. Le conflit entre Boeing et Airbus a pour but la suprématie mondiale dans le fabuleux marché des avions civils au cours des 20 prochaines années.

La question est d’autant plus intéressante que de nouveaux acteurs entrent dans le jeu : ce sont les Russes et les Chinois. Jusque-là, ils ne pèsent rien dans ce secteur mais cela ne va pas durer. Ils sont en train de combler leur retard technologique et ils ont des coûts de production nettement inférieurs à leurs homologues occidentaux. Bref, ils peuvent devenir des concurrents sérieux surtout sur le marché des appareils de 150 à 200 places qui représentent la majeure partie de la production aussi bien chez Boeing avec les B 737 que chez Airbus avec la série 320. Voilà pourquoi chacun des deux gros constructeurs veut faire mettre le genou à terre à l’autre.

La situation avant le Dubaï Air Show

La première manche revient sans conteste à Boeing qui a obligé Airbus à se déclarer coupable de pratiques commerciales interdites, en clair d’actes de corruption majeurs et ce au cours des dernières années. En fait, la main du constructeur américain n’apparaît pas clairement dans les communiqués, mais on ne voit pas pourquoi Airbus aurait pris une telle initiative sans être certain d’une capacité de dénonciation de la part de Boeing. Bien évidemment cette démarche a réellement déstabilisé la direction du consortium européen à tel point que la démission de son président Tom Enders a été envisagée. Et cette situation est arrivée au plus mauvais moment. Depuis de début de l’année les résultats sont en berne : -2% sur son EBIT dans les 9 premiers mois et les prises de commande sont en baisse : -35% en valeur par rapport à la même période de 2016. Pendant ce temps, Boeing caracole en tête avec 555 prises en commandes au cours des trois premiers trimestres 2017 contre seulement 319 pour Airbus. Et Boeing est en train de gagner le secteur long-courrier : 150 B747/777 et 787 contre seulement 56 pour les A 330 et A 350 et aucun A 380.

La situation après de Dubaï Air Show

Le salon du Golfe est devenu incontournable pour le transport aérien. Sans pour autant rivaliser avec le mythique salon du Bourget, il se positionne en deuxième position et il peut encore progresser, surtout si l’on considère que la croissance du secteur est tirée par l’Asie et les compagnies du Golfe. Airbus a tiré le premier avant le salon en soufflant à Boeing le programme C Series de Bombardier qui, il faut le dire, a beaucoup de peine à s’installer dans le marché en face de son concurrent brésilien Embraer : 360 appareils en commande pour les C Series de Bombardier contre 942 E 190 pour Embraer à fin septembre 2017. Voilà néanmoins un joli coup. Cela permet à Airbus de couvrir le segment des jets de 100 à 150 places en privant son rival américain de l’accès à ce marché tout de même très prometteur. Avec la puissance commerciale d’Airbus, le programme C Series devrait connaître de futurs beaux jours.
Oh certes, Boeing a encore lourdement frappé à Dubaï et Airbus se trouvait à la traîne jusqu’en fin du salon où le constructeur européen a annoncé la méga commande de la série A 320 par Indigo Partners. Voilà qui a remis les pendules à l’heure.

1partout, pourrait-on dire.

En fait, on assiste un peu au bal des hypocrites. D’abord qui peut penser que la vente d’avions dont le prix moyen à l’unité est de l’ordre de 100 millions d’euros peut se faire sans intermédiaires ? Et à quoi servent les intermédiaires, si ce n’est pour distribuer des commissions ? Cela ne coûte rien aux constructeurs qui seraient de toute façon amenés à consentir d’importants rabais. Que ceux-ci prennent la forme de baisses de tarifs ou de commissions, l’important est que les vendeurs récupèrent le montant de la vente nette. Et que l’on ne nous fasse pas croire que seul Airbus se livrerait à de telles pratiques et que Boeing serait tout blanc.

Le monde aérien vit finalement très bien avec la domination de deux géants. Cela maintient une saine concurrence et garantit la capacité de recherche dont le transport aérien futur ne saurait se passer.

La guéguerre va certainement se poursuivre pour le plus grand bien des grands cabinets d’avocats. Voilà au moins où se situent les grands gagnants.

Jean-Louis BAROUX

P.S. : la plupart des chiffres de cette chronique proviennent du tableau de bord du cabinet ID Aéro que je remercie et auquel je rends hommage pour la qualité de ses informations.