La recomposition du ciel européen

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Ce qui s‘est passé lors de Sommet Européen de l’Aviation à Amsterdam les 20 et 21 janvier est une véritable bombe dans le transport aérien européen même si ses effets ne se feront pas sentir dans l’immédiat. C’est justement lors de cette manifestation que les grandes compagnies aériennes européennes ont créé A4E ou Airlines For Europe, un peu sur le modèle américain du A4A Airlines For America.

A4E regroupe en effet toutes les plus grandes compagnies européennes avec une énorme nouveauté : c’est le rapprochement en son sein des compagnies traditionnelles et des deux principaux low costs : Ryanair et EasyJet. La liste des participants à ce qu’il faut bien appeler un nouveau « lobby » est impressionnante : par ordre alphabétique : Air France/KLM, Easyjet, le groupe IAG composé de British Airways, Iberia, Vueling, le groupe Lufthansa qui outre la compagnie éponyme a pour filiales Austrian Airlines, Brussels Airlines, Edelweiss, Germanwings, Sun Express et  Swiss, et Ryanair, excusez du peu ! L’ensemble représente plus de 50% du trafic européen, 460 millions de passagers, 2100 appareils et réalise 85 milliards d’€ de chiffre d’affaires.
 
Bref rien ne pourra se faire en Europe sans le consentement de ces acteurs tant qu’ils auront décidé d’agir ensemble et non pas les uns contre les autres. Car c’est bien ce qui s’est passé jusqu’à présent. Les « low costs » ont fait plier les compagnies traditionnelles et les ont obligées à appliquer leur modèle tarifaire, lequel n’est pas compatible avec leurs prix de revient. Ces derniers d’ailleurs ont créé chacun leur alliance : Star Alliance pour Lufthansa, OneWorld pour British Airways et SkyTeam pour Air France, dans le seul but de se piquer le marché juteux des grands comptes globaux.
 
Il a donc fallu une crispation certaine pour obliger ceux qui sont naturellement ennemis à s’unir. Pour cela il fallait choisir un motif qui parlerait à chacun. Les partenaires d’A4E en ont trouvé deux.
 
D’abord les charges aéroportuaires. Il est vrai qu’alors que les tarifs des compagnies baissaient de manière constante, les aéroports ont dans l’ensemble augmenté les leurs de 80% en dix ans. Cela fait beaucoup d’autant plus que pendant ce temps-là les compagnies ont apporté 50% de passagers en plus, gros consommateurs des services et des boutiques aéroportuaires dont les aéroports tirent maintenant 50% de leur budget, sans pour autant en laisser une part aux compagnies. Cela fait des années que les transporteurs veulent faire bouger le management des plateformes aéroportuaires, sans succès. Ils commencent à en avoir assez et comme ils ne peuvent pas s’adresser directement aux gouvernements tous plus ou moins intéressés aux résultats des aéroports, ils vont essayer d’obtenir satisfaction par la voie des règlements européens. Voilà qui promet une belle bagarre.
 
L’A4E s’est fixé un autre objectif : obtenir un contrôle aérien plus efficient. Car là aussi il y a du grain à moudre. Oh certes les européens ne sont pas restés inactifs et Eurocontrol a largement entamé le déploiement de SESAR (Single European Sky ATM Research), autrement dit la mise en route du ciel unique européen. Il est plus que temps que ce projet se concrétise. Le contrôle aérien européen est encore atomisé entre les Etats, avec au moins 2 fois plus de centres de contrôle qu’aux Etats Unis et des routes aériennes qui demandent d’urgence à être retaillées. Une étude a montré que l’on pouvait ainsi gagner 8 minutes de temps de vol en moyenne pour chaque trajet. Ces économies considérables tomberaient bien évidement dans l’escarcelle des compagnies aériennes. Seulement là encore s’adresser aux Etats est illusoire car chacun protège son pré carré. Reste la Commission Européenne, qui seule peut faire bouger les lignes.
 
Voilà donc pourquoi les grands ont oublié leur farouche concurrence, tout au moins pour un temps, pour faire aboutir ces deux objectifs. Et il n’est pas certain qu’ils n’y arrivent pas. Car ensemble ils disposent d’une force de frappe considérable, qui plus est concentrée en un tout petite nombre d’acteurs : 5, pas plus.
 
Il parait clair que cette initiative sonne le glas de l’AEA (Airlines European Association) qui jusqu’à présent traitait les compagnies de premier niveau. Mais si, comme cela est prévisible, les participants à A4E quittent l’AEA, comme d’ailleurs l’ont déjà fait Alitalia, British Airways et Iberia celle-ci sera réduite à un tel point qu’elle perdra toute influence. Quel que soit le respect qu’on leur porte, les restants : Aegean, Air Baltic, Air Malta, Cargolux, Croatia Airlines, DHL, Finnair, Icelandair, LOT, Luxair, SAS, TAP, Tarom, TNT, Turkish Airlines et Ukraine International Airlines ne pèseront pas lourd dans un lobbying dont ils auront beaucoup de peine à définir les objectifs.
 
Jean-Louis BAROUX