La tenue vestimentaire dans le voyage d’affaires peut parfois prêter à débat

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Les voyageurs d'affaires peuvent ils se présenter à un rendez-vous professionnel en short, porter un percing ou arborées des cravates aussi bariolées qu'un drapeau carioca ? L'affaire des tresses du steward évoquée sur DeplacementsPros.com rappelle que de nombreuses entreprises essaient de limiter les fantaisies de leurs salariés, mais se heurtent parfois à leur liberté individuelle. Le point du droit avec notre juriste, Maître Cortes.

La tenue vestimentaire dans le voyage d'affaires peut parfois prêter à débat
La volonté de l’entreprise de «normaliser» l’apparence physique de ses salariés ne peut lui permettre de porter atteinte aux libertés individuelles, parmi lesquelles celles de se vêtir ou de se coiffer librement. Ce principe est constamment rappelé dans les manuels de droit, et l’on pourrait ainsi considérer que la malheureuse histoire racontée dans ce film de 1974 «La coupe à 10 francs» ne pourrait plus arriver. Rappelez vous le scénario : «Le patron d'une fabrique de meubles ordonne à ses jeunes employés de se faire couper les cheveux. L'un d'eux refuse et le patron menace de le renvoyer puis va trouver son père. Celui-ci traîne le jeune homme chez le coiffeur. Le crane rasé, le garçon se rend devant l'usine, s'asperge d'essence et craque une allumette».
Mais non voyons, nous sommes en 2012 et la loi du 4 août 1982 concernant la liberté des travailleurs dans l’entreprise a mis un terme à tout cela.

D’ailleurs, la Circulaire DRT no 5-83 du 15 mars 1983 prise pour l’application des articles 1er à 5 de cette fameuse loi du 4 août 1982 énonce très clairement au chapitre relatif à la rédaction du règlement intérieur et en particulier au respect des droits des personnes et des libertés individuelles et collectives (1242) : «On peut considérer que ne sont plus désormais conformes à la loi les dispositions qui ne respectent pas les droits des personnes et les libertés individuelles ou collectives d'une manière générale et sans distinguer entre les salariés selon la nature des tâches effectuées.
Ainsi peuvent être regardées comme portant atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles :
- l'interdiction du mariage entre salariés ou l'interdiction d'épouser une personne divorcée;
- l'obligation d'adopter un type de coiffure;
- l'obligation de porter un uniforme sans aucune restriction;
- le recours à l'alcootest ou à la fouille en toute circonstance;
- l'interdiction absolue de chanter, siffler ou de parler à ses collègues;
- l'interdiction de porter des badges ou des insignes;
- l'interdiction d'introduire un journal dans l'entreprise.
»

Cette circulaire ne semble cependant pas avoir été prise en considération lors de la rédaction de son règlement intérieur par Air France. Dans un premier temps, ce règlement intérieur énonçait que «les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Classique et limitée en volume, la coiffure doit garder un aspect naturel. Longueur limitée dans la nuque» et «Mèche limitée à mi front».
A la suite d’une recommandation de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations, saisie par un steward d’Air France (Monsieur Traoré) empêché de monter dans un avion s’il se coiffait avec des tresses, ce règlement a été légèrement modernisé et admet désormais qu’il soit tenu compte « des codes esthétiques actuels ». Cependant il semble que sa coiffure empêche toujours Monsieur Traoré de monter dans un avion, et toujours en application de ce même règlement intérieur, même si ce document comporte à l’évidence une violation de la loi de 1982 et de la circulaire précitée.

Or l’on peut tout de même s’étonner que ce règlement ait pu récemment être modifié en ayant maintenu quelque obligation que ce soit sur la coiffure. En effet, pour mettre en place un règlement intérieur dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins 20 salariés, il convient de soumettre le projet au comité d’entreprise (ou s’il n’y en a pas, aux délégués du personnel), et, sur les questions d’hygiène et de sécurité, au CHSCT, puis de déposer le document en deux exemplaires au secrétariat-greffe des prud’hommes, de l’afficher sur les lieux de travail dans un endroit accessible et pour finir de communiquer le texte à l’inspecteur du travail. Les mêmes formalités doivent être accomplies en cas de modification du règlement intérieur. Il faut donc croire que les représentants du personnel d’Air France et l’inspection du travail n’ont pas été sensibles à la difficulté que pose une interdiction sur la coiffure.

Certes, la loi énonce l’exception que le règlement intérieur ne peut contenir (article 1321-3) : « 2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Il s’en déduit a contrario que l’employeur peut justifier une restriction de liberté en fonction de deux paramètres : la nature de la tâche et la proportionnalité de l’interdiction au but recherché.
Mais en l’espèce quelle est la motivation existante, dans le règlement intérieur lui même, de l’exception faite concernant l’interdiction de se coiffer librement ? Autrement dit, comment le règlement intérieur justifie t-il cette interdiction par référence à la nature de la tâche accomplie par un steward ? Egalement, quel but expose t-il, pour que l’on puisse s’assurer qu’il est proportionné à l’interdiction de se coiffer librement ?
Le règlement intérieur d’Air France ne semble pas expliquer tout cela, et c’est le problème de nombreux règlements intérieurs qui édictent des interdictions, attentatoires à des libertés, sans que l’on puisse comprendre à quoi ça sert rationnellement et objectivement.
D’où les litiges, nombreux en la matière, invitant les juges, au cas par cas, à rechercher si la restriction apportée par l'employeur à la liberté individuelle du salarié de se vêtir ou de se coiffer ou autre, était légitime.

Récemment (un arrêt du 11 janvier 2012) la Cour de cassation a eu à statuer sur la validité du licenciement d’un chef de rang qui avait refusé d'ôter pendant le service les boucles d'oreilles qu'il portait depuis un mois. Il n’était pas question dans cette affaire d’un quelconque règlement intérieur. Le licenciement était intervenu au motif énoncé ainsi: «votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes». La Cour de cassation ne s’est absolument pas embarrassée de savoir si les paramètres de la nature de la tâche et de la proportionnalité de l’interdiction au but recherché étaient remplis. Faisant référence à l'article L. 1132-1 du code du travail, elle a rappelé qu’aucun salarié ne peut être licencié en raison de son sexe ou de son apparence physique, et qu’en l’espèce il résultait du motif de licenciement qu'il avait pour cause «l'apparence physique du salarié rapportée à son sexe».

Cet arrêt sera vraisemblablement invoqué dans l’affaire Traoré car il semble bien que les restrictions de carrière qu’il a subies ont été édictées de manière discriminatoire, en raison de son apparence physique (une coiffure) rapportée à son sexe (les tresses ne sont pas spécifiquement interdites aux hôtesses et c’est donc bien le sexe masculin qui serait visé).

Il pourrait tout aussi bien faire annuler toutes les mesures de placardisation qu’il a subies (refus d’embarquement et emploi au sol) sur le seul fait qu’elles n’ont pas été prévues par le règlement intérieur de l’entreprise. En effet dans un arrêt très important du 26 octobre 2010, la cour de cassation, opérant un revirement de jurisprudence remarqué, a considéré qu’une «sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par ce règlement intérieur (et) qu'une mise à pied prévue par le règlement intérieur n'est licite que si ce règlement précise sa durée maximale». L’employeur n’est donc pas libre de pratiquer des sanctions non prévues par le règlement intérieur. Dès lors dans le silence du règlement intérieur quant à la sanction précise applicable à un refus de se conformer à une interdiction quelconque, ladite sanction encourra une annulation avec toutes les conséquences qui en découlent.

D’où la recommandation réitérée de réfléchir, au moment de leur élaboration, à des règlements intérieurs spécifiquement et objectivement motivés sur toutes ces questions très délicates qui touchent intimement les salariés.
Le lien de subordination ne peut tout justifier et il est regrettable que les idées qui ont présidé à l’adoption de la loi de 1982 puissent sembler être ignorées aujourd’hui, en 2012. Dans la circulaire de 1983, qui est toujours en vigueur, il est dit : «Conformément à la volonté du législateur, qui a clairement manifesté l'intention de faire disparaître du règlement intérieur toutes les « brimades » injustifiées, le règlement intérieur ne doit plus, désormais, être un catalogue d'interdictions de toute nature, qui serait l'expression d'un pouvoir de police générale analogue à celui qui détiennent les autorités publiques.
L'entreprise constitue une communauté à vocation limitée Elle ne rassemble des personnes que pendant une durée limitée, le temps de travail, et pour atteindre une finalité limitée, la production de biens ou de services. Si son fonctionnement, comme celui de toute autre collectivité organisée, dépend du respect d'un certain nombre de règles, ces règles ne sont justifiées que dans la mesure où elles sont nécessaires à la fois à assurer la coexistence entre les membres de la communauté de travail et à atteindre l'objectif économique pour lequel cette communauté a été créée. Cette double finalité marque également leur limite
».

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