Laurent Queige, Welcome City Lab: « Il faut que les entreprises du voyage d’affaires s’approprient l’innovation »

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C’est un mot très présent depuis une dizaine d’années dans le vocabulaire des professionnels du voyage d’affaires, l’innovation. Elle est devenue le moteur du développement des outils utilisés par les acheteurs comme par les voyageurs lors de leurs déplacements professionnels. Mais derrière ce terme se cache une multitude de fonctionnalités, plus ou moins utiles, dont on commence à découvrir avec intérêt la finalité.

"Il ne suffit pas d’évoquer l’innovation pour croire qu’elle est présente au sein de son entreprise", affirme Laurent Queige, le délégué général du Welcome City Lab. "L’innovation doit être désormais inscrite dans l’ADN des entreprises car elle va leur permettre à la fois d’évoluer dans leur organisation interne et de se projeter à l’extérieur". Pour cet ancien directeur de cabinet du chargé du tourisme à la Mairie de Paris, le regard que doit apporter le voyage sur l’avenir ne peut passer que par les innovations proposées aujourd’hui par des start-ups, des entreprises dont la mission est de déterminer ce qui demain sera le futur du voyage. "Bien sûr, la mission première d’une entreprise n’est pas de chercher à faire de l’innovation à tout prix. Elle a d’abord un métier qu’elle doit exécuter. Mais elle se doit de porter un regard permanent sur ce qui se développe autour d’elle pour envisager son avenir et intégrer de nouveaux services à ses offres. L’innovation c’est le regard permanent sur ce qui fera le lendemain tout en restant extrêmement réaliste dans la capacité de le faire", souligne Laurent Queige qui ne souhaite pas faire de la nouveauté pour la nouveauté, pour la beauté du geste : "Il faut de l’utilité, une idée, une faisabilité technologique pour que l’innovation puisse imposer par elle-même à l’utilisateur". Pour le créateur du Welcome City Lab, qui dépend de l’agence économique et d’innovation de Paris (Paris & Co), "En aidant les jeunes pousses à développer leur idée et à les commercialiser, on construit un avenir plus fort et plus en adéquation avec son époque".

Pour qui ne connaît pas le Welcome City Lab, le lieu suffit à donner la mesure de l’esprit qui y règne. Dans les locaux de la Tour Gamma, située Gare de Lyon, quelques dizaines de jeunes créateurs, portable en main, traversent un long couloir pour aller d’une réunion à une autre, d’une rencontre informelle à un moment de détente. Pas de jeunisme exacerbé mais la volonté des participants d’être au centre du mouvement qui se crée. Rencontre avec le chef d’orchestre d’un espace totalement dédié à l’innovation.

Déplacementspros.com : Pourquoi avoir créé un Welcome City lab ?

Laurent Queige : Avec plus d’une vingtaine d’années d’expérience dans le tourisme, j’ai vu que l’innovation était insuffisamment prise en compte dans l’univers du voyage et plus généralement du tourisme. Il me semblait essentiel d’améliorer le caractère innovant d’un grand nombre d’entreprises qui voulaient se développer autour d’idées parfois simples, mais capables de révolutionner nos habitudes.

J’ai également constaté que les entreprises avaient peur de l’inconnu et qu’elles n’étudiaient pas suffisamment leur environnement créatif et nouveau qui est pourtant essentiel à leur développement. J’ai également vu qu’il fallait du temps pour se consacrer à l’innovation et une volonté d’informer permanente pour permettre à tous les nouveaux acteurs de faire connaître leur travail.

Enfin il me semblait essentiel de dire aux entreprises qu’il faut se familiariser avec les innovations, les tester, les améliorer par une discussion constante et permanente avec ceux qui sont à l’origine d’une idée. Tout cela demande une structure fiable, efficace et composée d’acteurs expérimentés, capables d’aider les jeunes entreprises à construire un business plan, à développer une offre marketing et à mettre en œuvre un projet technologique. C’est globalement le travail que nous assurons aujourd’hui quotidiennement.

C’est vrai qu’il y a quatre ans, lorsque nous nous sommes lancés tout cela était assez complexe car peu de gens y croyaient. Notre mission a été de les convaincre et même de leur démontrer qu’il y a derrière chaque innovation des femmes et des hommes qui avaient réfléchi un projet et l’avaient développé pour le rendre utile au quotidien à ceux qui allaient l’utiliser.

Nous avons également voulu démontrer que l’échec participe à la réussite et que si certains projets n’ont pas été jusqu’au bout, ils ont permis à d’autres de se concrétiser et de se développer.

Déplacementspros.com : Avant de développer l’activité même du Welcome City Lab, on a souvent le sentiment que les entreprises du voyage d’affaires sont frileuses face à l’innovation. Le constatez-vous ?

Laurent Queige : Encore une fois, je crois que l’innovation seule ne suffit pas. Il faut qu’elle soit associée à un besoin, à une réelle évolution au sein de l’entreprise. Il est vrai que dans l’univers des achats, qui sont généralement des univers extrêmement cartésiens, il faut que la nouveauté apporte un intérêt réel et immédiat à l’activité quotidienne. C’est sur cette partie-là que nous rencontrons le plus de difficultés. Il nous faut à la fois dire que l’avenir se fera autour de tel et tel produit, et non pas seulement autour de telle et telle technologie, mais aussi réussir à convaincre l’utilisateur potentiel que cette innovation va réellement lui apporter quelque chose. C’est un parcours complexe, souvent porté aujourd’hui par des fournisseurs déjà reconnus.

Nous avons des start-ups qui innovent en permanence dans des domaines B2B avec des outils susceptibles de modifier profondément la vision des utilisateurs. Il faut donc être suffisamment convaincants auprès des entreprises pour leur proposer d’essayer telle ou telle solution sans qu’elle vienne pour autant bousculer leur quotidien. Lorsque nous avons une start-up qui intègre une technologie dans une entreprise du voyage, c’est qu’elle a parfaitement réussi à définir le besoin et la réponse à une problématique donnée.

Déplacementspros.com : Comment fonctionne l’incubateur qu’est le Welcome City Lab ?

Laurent Queige : Sous cette appellation, il n’y a pas qu’une seule activité qui est mise en avant. Nous avons notre rôle d’incubateur, je le détaillerai plus loin, mais nous sommes également un lieu qui réunit en permanence des créateurs, des entreprises, des spécialistes, des techniciens afin d’échanger sur des sujets complexes liés à l’innovation. Quand je dis complexes, je ne veux pas dire difficiles, je dis simplement qu’en associant un grand nombre de cerveaux autour d’une problématique posée, on trouve des solutions et on s’engage sur des chemins qui permettront de répondre aux attentes de ceux qui ont posé la question.

Nous organisons environ une soixantaine d’événements par an tout en assurant le suivi d’une trentaine de start-ups, choisis tous les ans sur dossier. Nous avons également créé un espace de co-working pour faciliter les échanges entre les start-ups. Tout le programme de ces rencontres se trouve sur le site du WCL.

Déplacementspros.com : Plus concrètement, comment fonctionne le Welcome City lab et comment choisissez-vous les start-ups qui vont l’intégrer ?

Laurent Queige : Je vous dirais avant tout que le Welcome City Lab est un programme de stimulation de l’innovation dans le tourisme construit autour du premier incubateur au monde dédié à ce secteur. Concrètement, nous accueillons des start-ups dont le projet s’articule autour de l’innovation dans le monde du tourisme et du voyage. Tous les ans, nous accueillons une trentaine de jeunes entreprises sélectionnées parmi 150 dossiers de candidature. Je ne suis pas le seul à les choisir. Nous avons un comité constitué de l’ensemble de nos partenaires comme, entre autres, Amadeus, les Galeries Lafayette, ADP, Sodexo, la Caisse de Dépôts et consignation sans oublier la BPI qui joue un rôle financier important. Tous les représentants de ces entreprises vont lire les dossiers avec attention et analysent le bien-fondé du postulant. Ensuite, nous nous réunissons pour déterminer les 30 meilleurs dossiers capables d’intégrer le Welcome City lab.

Il serait illusoire de croire qu’une idée suffit pour nous rejoindre. Nous sommes beaucoup plus exigeants que cela. Il nous faut à la fois être certains des qualités humaines des fondateurs, de l’originalité de l’idée et de sa capacité à faire évoluer le domaine concerné. Il y a donc tout naturellement des discussions entre nous pour nous forger suffisamment de convictions autour du dossier que nous allons retenir.

Parfois même, lorsque nous constatons que l’une de nos attentes n’est pas totalement comblée, nous disons aux postulants : "Reviens l’année prochaine, trouve-toi un associé plus compétent dans les domaines que tu veux développer, réfléchis un peu plus à ton business plan". Et il nous est même arrivé une fois ou deux d’aller dire à une entreprise que nous avions refusé l’année d’avant "Propose-nous à nouveau ton dossier cette année car ton produit, la réflexion et tes attentes ont suffisamment évolué pour correspondre à ce que nous recherchons".

Il faut également préciser que nous intervenons dans un cadre plutôt urbain et dans trois grands domaines : le monde des loisirs, celui des affaires ainsi que dans l’événementiel, qui est un maillon fort de l’attractivité touristique.

Enfin, et c’est un point important, le fait d’être choisi pour intégrer le Welcome City Lab permet à la jeune start-up de disposer d’un prêt de 30 000 € proposé par notre partenaire BPI. Cette somme va lui permettre de payer les frais d’hébergement et de bénéficier de l’ensemble des services et des consultants que nous mettons à sa disposition.

Déplacementspros.com : Vous avez dit à l’occasion de l’IFTM Top Resa 2016 que l’idée seule, fut-elle exceptionnelle, ne faisait pas forcément la réussite d’un projet. Vous pouvez développer ?

Laurent Queige : Une start-up, c’est un tout. À la base, et c’est assez évident, il doit y avoir une idée innovante qui ne s’est jamais faite ailleurs et qui répond très concrètement un besoin. Notre process de sélection est très révélateur de ce que nous attendons de ses start-ups. Nous nous sommes articulés autour de six points de référence pour choisir les candidats. Le premier permet de définir en quoi la start-up est innovante dans le monde du tourisme et du voyage. Le second nous permet de déterminer quel est son attractivité pour la Ville de Paris. Le troisième détermine combien d’emplois seront créés dans les cinq années à venir. Le quatrième nous permet d’aborder le sérieux du business plan et la qualité économique du projet qui nous est soumis. Ensuite nous travaillons à la légitimité de l’équipe. Qui va gérer le développement technologique ? Qui sera le porteur du projet en termes marketing ? Comment sera commercialisée l’innovation ?

Enfin, je le disais plus tôt une petite étude de marché nous permet de déterminer si nous sommes bien dans le ton de ce qui est demandé au moment où la start-up vient présenter son projet. Vous l’aurez compris, quelle que soit la qualité du porteur de projet, souvent une équipe de deux ou trois personnes, il faut que l’environnement de travail qu’il vient proposer au Welcome City Lab puisse lui permettre de se développer, de mettre en œuvre son idée et surtout, de lui donner une rentabilité évidente. C’est pour cela qu'il faut toujours se méfier des très bonnes idées qui n’auraient pas un applicatif dans le temps. L’idée n’est bonne que lorsqu’elle structurée, qu’elle existe concrètement et qu’elle démontre qu’elle intéresse des gens.

Déplacementspros.com : Vous dites souvent que le Welcome City Lab n’est qu’une petite partie de votre activité, pourquoi ?

Laurent Queige : Nous nous sommes tous donnés pour mission de sensibiliser le tourisme et le voyage à l’innovation. Cela ne s’y limite pas seulement à porter des entreprises et à permettre à des jeunes entrepreneurs de mener à bien leurs projets. Nous avons par exemple mis en place une Académie qui va organiser des ateliers, des conférences gratuites ouvertes à tous, des meet-up qui sont des rencontres ouvertes pour la construction collaborative d’une réponse apportée un sujet donné.

Nous réfléchissons autour des nouvelles technologies qui s’annoncent pour les prochaines années et nous travaillons dans l’innovation des services car nous sommes aujourd’hui persuadés qu’il n’y a pas que le digital qui soit porteur d’innovation. La technologie seule ne génère pas la nouveauté. Il faut qu’elle soit associée efficacement à une idée et à un besoin. En un mot nous disons ici que tout ce qui se crée doit simplifier la vie des clients, quel que soit le domaine d’intervention et le public visé.

Toutes les entreprises qui se sont montées ici, et qui ont donc bénéficié d’un prêt financier de la BPI, sont directement branchées à la vie de tous les jours et attentives à l’expression des besoins manifestés par les professionnels.

Déplacementspros.com : Comment aidez-vous concrètement les start-ups à s’imposer sur les marchés ?

Laurent Queige : Nous travaillons à plusieurs niveaux et tous ont leur importance pour permettre une évolution réfléchie de la start-up que nous accueillons. Dans un premier temps, il y a le stade de la pré-incubation. Nous partons de l’idée pour aller jusqu’à la création de l’entreprise. C’est un point essentiel dans l’approche que nous menons avec les jeunes créateurs qui nous contactent. Il nous faut valider avec eux le bien-fondé de leur idée mais également sa faisabilité et nous travaillons toujours à partir de ces éléments-là, mais également d’une étude de marché qui nous permet de déterminer si le projet s’intègre bien dans la réalité économique.

Ensuite nous lançons l’amorçage de l’incubation, c’est généralement la première année d’existence de l’entreprise cela va permettre de valider toutes les étapes qui avaient été développées avant et de les concrétiser.

Enfin il y a le démarrage et le décollage qui va permettre aux start-ups de s’implanter aussi bien en France qu’à l’international. Nous allons voir avec elle comment passer du local au global, travailler à la levée de fonds pour avancer dans le développement du projet mais également être capables, pour les jeunes créateurs, de présenter leur projet concrètement et professionnellement.

Déplacementspros.com : J’évoquais au début de cet entretien la peur de l’innovation que nous rencontrons parfois chez les acheteurs dans les entreprises. Comment faire pour la dépasser ?

Laurent Queige : En s’intéressant à cet environnement innovant que nous avons réussi à mettre en œuvre dans le monde du voyage. En venant nous rencontrer, en venant échanger avec les créateurs de start-up ou tout simplement en participant à nos conférences qui permettent de défricher des sujets qui peuvent parfois paraître complexes vus de l’extérieur.

Pour innover, il faut de la curiosité. C’est un écosystème interne qui nous permet de comprendre où est réellement la nouveauté et comment elle peut permettre de changer nos habitudes de travail. Est-ce qu’elle répond un besoin non satisfait ? Est-ce qu’elle sera rapidement adoptée par les voyageurs ? Est-ce qu’elle va permettre de réaliser des économies ou de changer nos façons de faire ? Toutes ces questions sont celles que nous nous posons en permanence que ce soit la machine à café ou en salle de repos.

Nous disons aux entreprises venez vous associer à cette réflexion, venez découvrir ce que nous faisons et participer avec nous à ces évolutions. Il faut avoir un regard bienveillant et évolutif sur tout ce qui fait l’innovation dans le monde du tourisme et du voyage. Pour une entreprise, c’est devenu essentiel au même titre que la recherche et le développement.

Je souhaite que nous devenions tous ensemble les artisans d’une réflexion globale autour de ce qui demain deviendra notre quotidien.

Entretien réalisé par M. Lévy.