Le «blurring» envahit la vie du voyageur d’affaires

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À écouter les acheteurs et les dirigeants d’entreprise, la vie du voyageur d’affaires ressemble à celle des moines du XVe siècle qui, une fois quittée leur table de travail, rejoignaient leurs pénates pour une fin de soirée monacale, d’une tristesse sans fin.

On sait aujourd’hui que la réalité est toute autre que le voyageur d’affaires a besoin de se distraire le soir ou, pourquoi pas, de rester quelques jours de plus pour ses propres loisirs. Ce mélange de la vie professionnelle et personnelle, que les Américains appellent le blurring se développe de plus en plus avec une inventivité quasiment sans limite. Profiter d’une soirée opéra lorsque l’on est en déplacement à New York ou s’arrêter voir une exposition exceptionnelle à Florence ne sont plus désormais des activités à garder secrètes lors d’un déplacement professionnel. Certes, et pour éviter toute jalousie, il ne faut pas non plus crier sur les toits que l’on profite d’un déplacement d’affaires pour visiter tel ou tel musée où s’arrêter quelques heures à la plage. La confusion qui règne aujourd’hui entre l’univers personnel et professionnel, alimentée principalement par la technologie (tablette ou Smartphone), doit désormais être exploitée intelligemment par les agences de voyages et les voyageurs eux-mêmes.

Aujourd’hui, bon nombre de TMC limitent l’information fournie à leurs clients aux seuls éléments constitutifs du voyage. Demain, elles devront faire plus et mieux. Outre les agendas culturels, elles pourront proposer des extensions pour un week-end voir des séjours thématiques à celles et ceux qui ne veulent pas traverser le monde simplement pour 48 heures de travail.

On pourrait croire que cette vision du voyage d’affaires est incompatible avec l’image que l’on se fait d’un déplacement professionnel. Ce serait ridicule de le penser d’autant que le voyageur, qui très souvent ne compte pas ses heures, sait parfaitement se responsabiliser lorsqu’il ne peut pas ou ne souhaite pas aller au-delà de sa simple présence professionnelle sur place. Toutes les études réalisées outre-Atlantique démontrent que le blurring développe l’équilibre indispensable à la gestion des dossiers complexes. Le favoriser, c’est-à-dire l’autoriser tout simplement, permet d’améliorer sensiblement la relation avec le voyageur qui, dans tous les cas, prendra à sa charge les frais inhérents à ces choix.

Il reste qu’aujourd’hui peu de structures proposent ces extensions aux voyageurs d’affaires. Il faut dire que, le plus souvent, chacun adapte son emploi du temps à ses envies et s’arrange, lorsqu’il est bien informé, pour trouver l’exposition ou le lieu mythique qu’il souhaite ainsi découvrir. Faut-il alors aller plus loin en l’intégrant au SBT ? Beaucoup le pensent d’autant plus que ces activités réalisées en dehors de toute activité professionnelle permettent à l’entreprise de connaître plus précisément l’emploi du temps du voyageur sans aucune suspicion ou faux procès.

Encore faut-il savoir désormaiscomment l’intégrer dans l’univers de l’entreprise sans susciter de jalousie de la part des collègues de travail. Plusieurs sociologues, qui se sont penchés sur le sujet en Angleterre et en Allemagne, sont aujourd’hui persuadés que la maturité des jeunes générations permet de gérer avec finesse la problématique que pose le blurring. D’autres, aux États-Unis comme en Asie, affirment que ce qui se passe après la période de travail doit rester confidentiel et ne faire l’objet d’aucune publicité tapageuse dans l’entreprise. La vérité est sans doute entre les deux mais faute de recul et de retour d’expériences réussies ou ratées, il est encore difficile de tracer le process de ce qui, demain, sera pourtant entré dans les mœurs du voyage d’affaires.

Marcel Lévy

En septembre 2013 Ipsos avait mené une vaste étude sur le sujet. Une enquête sur la vision des voyageurs qui permettra sans doute aux acheteurs d’en percevoir davantage les contours.