Le libéralisme à l’américaine

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Les trois plus gros transporteurs américains: Delta Airlines, American Airlines et United Airlines ont ensemble financé un rapport commun qui vise à dénoncer les aides massives reçues par les compagnies du Golfe, ce qui, à leurs yeux, s’apparente à de la concurrence déloyale. Mais après avoir bénéficié du fameux "chapitre11", elles auraient pu balayer devant leur porte, nous rappelle Jean-louis Baroux !

Voilà qui est pour le moins étonnant. Je suis tout d’abord très surpris que les tenants d’un libéralisme porté presque à la hauteur d’une religion, s’offensent de ses effets. Il faut dire qu’en bons américains qu’ils sont, « ce qui est bon pour l’Amérique est bon pour le reste du monde ». En foi de quoi, ce qui est encensé tant qu’on est dans un système favorable aux intérêts des Etats-Unis devient un péché dès lors que cela peut bénéficier à quelqu’un d’autre.

Alors ces compagnies se sont penchées sur les comptes des trois transporteurs du Golfe visés : Emirates, Etihad Airways et Qatar Airways.  D’abord ils ont bien été déçus car Qatar Airways et Etihad Airways ne publient pas des comptes détaillés. Les analystes ont donc été amenés à chercher ailleurs les éventuelles preuves de «subventions». Pour Emirates qui publie ses comptes, les investigations ont été plus faciles. Et qu’ont découvert ces compagnies ? Que les Etats respectifs du Golfe soutenaient d’une manière ou d’une autre leurs transporteurs nationaux. Elles ont même chiffré ces aides à 39 milliards de dollars, répartis en 17,71 milliards pour Etihad Airways, 16,47 milliards pour Qatar Airways et "seulement" serait-on tenté de dire de 4,95 milliards pour Emirates. Ces chiffres sont d’ailleurs détaillés entre les prêts sans intérêts, les dotations en capital, les aides aux couvertures de carburant etc…

Et alors, la belle affaire ! Quel pays n’a jamais largement soutenu sa compagnie aérienne majeure ?

Allez ouvrons donc le chapitre des aides directes ou indirectes dont ont bénéficié les compagnies aériennes occidentales au premier rang desquelles les américaines. Et d’abord examinons les dispositions du fameux Chapitre 11 sur la loi des faillites. Tous les grands transporteurs américains y sont passés à l’exception d’Alaska Airlines. A la différence des législations des autres pays et particulièrement des européens, les dispositions du « Chapter 11 » sont beaucoup plus souples que celles dont peuvent bénéficier d’éventuels concurrents. La compagnie négocie avec le juge les créanciers qu’elle prévoir de payer et ceux qu’elle va laisser sur le carreau. Une fois la décision du juge prise, elle s’applique. Et c’est ainsi que les trois grandes compagnies américaines ont pu se restructurer en faisant finalement payer leurs fournisseurs et leurs salariés, là où, par exemple Alitalia pour le parler que d’elle, a dû subir la liquidation. C’est ainsi qu’en l’espace de 3 ans, Delta Airlines a pu passer du plus grand déficit jamais enregistré par une compagnie aérienne au plus grand profit que l’on ait pu voir dans ce secteur d’activité. Comment ne pas appeler ce type de législation une aide considérable aux transporteurs américains ? Et à  combien cela peut-il se chiffrer ?

Les européens ne sont pas mal lotis non plus quant aux aides qu’ils reçoivent. Certes les dotations en capital de la part des Etats actionnaires, ne sont autorisées qu’une seul fois. Mais il existe beaucoup d’autres capacités de protection au premier rang desquelles les négociations de droits de trafic et l’accès aux grands aéroports pour lesquels les compagnies historiques disposent toujours de la grande majorité des « slots » qu’ils conservent avec des artifices qui ont peu à voir avec la libre concurrence.

Mais au fond que reprochent les compagnies occidentales et particulièrement les américaines aux transporteurs du Golfe ? C’est bien simple, ces derniers proposent au marché une qualité de service et une définition de produit bien supérieure à celle des compagnies historiques. Et ces dernières ne voient pas comment elles pourraient en faire autant. Seulement ont-elles seulement essayé ? Depuis des années les compagnies américaines ont fait payer aux passagers la plus grande partie des économies qu’elles devaient faire en diminuant le niveau de leurs prestations. Et les clients qui veulent avoir le choix et qui, eux, sont pour la libre concurrence, ont bien identifié que les transporteurs du Golfe proposent un bien meilleur rapport qualité/prix.

Le fameux «yield management» a mis un écran de fumée entre le prix et la qualité du produit. Mais les clients sont de moins en moins dupes. Et les « miles » ne suffiront pas à masquer les criantes insuffisances des grands transporteurs occidentaux. Les compagnies du Golfe les obligent à se réveiller. Qu’attendent-ils au lieu de crier « maman, au secours ! ».

 Jean-Louis BAROUX

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