Le transport aérien est-il encore stratégique en Europe ?

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Alors que les patrons de 5 compagnies européennes s'unissent pour demander à l'Europe une stratégie claire, les Etats européens semblent laisser leurs transporteurs se débrouiller tout seuls dans la bataille de la concurrence, notamment face aux compagnies du Golfe. De quoi surprendre notre chroniqueur, Jean-Louis Baroux.

La récente querelle entre les transporteurs du Golfe et les compagnies occidentales conduit finalement à se poser la question de l’importance du transport aérien pour les Etats. Les Emirats et le Qatar ont clairement fait un choix: le transport aérien est l’un des principaux moyens d’établir la réputation et le poids mondial d’états finalement très marginaux. Il en est de même du développement des médias en particulier la chaîne d’information Al Jazeera. Peut-on le leur reprocher ?
 
Après tout chaque gouvernement a ses choix de priorités. Ceux-ci ne sont contestables que par les élections, tout au moins dans les pays démocratiques. Or qu’ont fait les pays européens ? Ils ont tout simplement considéré que le transport aérien n’était plus qu’une commodité et qu’il convenait de le laisser se développer comme il l’entendait en n’appliquant scrupuleusement que les règles de libre concurrence. En fait le choix stratégique consiste à fournir aux populations occidentales un accès le moins cher possible à nombre de produits ou de services, parmi lesquels le transport aérien.
 
Cela n’est pas sans conséquences. Les reproches adressés par les compagnies occidentales à celles du Golfe tiennent à un seul constat : elles ne sont pas capables de relever le défi du rapport qualité/prix que ces dernières ont imposé. Or elles n’ont pu le faire qu’avec la complicité agissante de leurs gouvernements. C’est ainsi qu’Emirates peut disposer d’une infrastructure aéroportuaire incomparable et développer à loisir une stratégie de « hub » qui lui permet de conquérir les marchés mondiaux. De son côté Etihad dispose de ressources financières considérables mises à sa disposition par l’Emirat d’Abu Dhabi sous forme de prêts sans intérêt remboursables dans dix ans. Cela permet à la compagnie d’acquérir des parts de capital très importantes dans nombre de compagnies sélectionnées en Europe ou en Asie. Enfin, le gouvernement du Qatar pèse de tout son poids pour que sa compagnie obtienne les droits de trafic dont elle a besoin et tout en supportant allègrement les pertes éventuelles de sa compagnie.
 
Tout le monde peut faire ces constats, mais est-ce que l’on peut les reprocher aux acteurs du Golfe ? Après tout, pourquoi les pays occidentaux n’en font-ils pas autant ? Si cela était le cas en France, par exemple, aurait-on toujours cette infâme desserte de notre aéroport principal : Roissy ? Aurait-on toujours une absence de liaison ferrée entre Paris et Orly ? N’aurait-on pas des règles particulières dans l’emploi des contrôleurs aériens voire même des personnels navigants techniques ou commerciaux ? N’y aurait-il pas un dégrèvement des charges salariales pour certaines catégories de personnel ?
 
Dans le fond les occidentaux reprochent aux gouvernements du Golfe, car au travers de leurs compagnies aériennes  c’est bien d’eux dont il s’agit, des pratiques qu’ils seraient bien inspirés d’appliquer.
 
Il n’est pas question de revenir sur le développement de l’Open Sky ni sur les règles de concurrence. Celles-ci ont eu un effet très bénéfique pour les consommateurs et même sur la qualité globale du transport aérien. Grâce à elles, nous avons des appareils plus modernes, plus confortables, moins polluants. Ne nous plaignons pas de cela. Ces mêmes règles font la prospérité des constructeurs d’avions dont deux sont basés en France. Mais les gouvernements européens peuvent parfaitement décider que le transport aérien est stratégique et alors prendre les mesures nécessaires non pas pour empêcher la concurrence, mais pour mettre leurs compagnies respectives au niveau nécessaire non seulement pour qu’elles puissent la supporter, mais pour conquérir ou plutôt reconquérir les marchés perdus.
 
Peut-être que cela n’est pas possible. Mais alors il ne faut pas se plaindre de notre déclin dans ce secteur d’activité. Si nous n’y prenons pas garde, après avoir perdu la bataille de l’Asie, nous perdrons celle de l’Atlantique lorsque les compagnies du Golfe se mettront à exercer leurs droits de 5ème liberté.
 
Il ne sert à rien de se lamenter. Les compagnies européennes ont des boulets aux pieds. Les acteurs du transport aérien européens ne travaillent pas les uns avec les autres mais souvent les uns contre les autres. C’est aux Gouvernements d’y mettre bon ordre, ou alors d’accepter l’inéluctable déclin du transport aérien européen.
 
Jean-Louis BAROUX