Les bons acheteurs « voyage » ne restent jamais longtemps à leur poste…

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Nous avons longuement réfléchi avant de publier cette chronique dans la rubrique "C'est vous qui le dites". D'abord par respect pour l'auteur, personnalité réputée des achats hors production, qui a été travel manager pendant deux ans avant de prendre la direction des achats d'une très grande entreprise du CAC 40 et qui, avec ce texte, risquait de choquer voire d'être soumis aux quolibets des lecteurs. Aujourd'hui retraité, il revient sur son expérience travel, un sujet qui le passionnait et le passionne toujours.

Ce qui nous a inquiété, voire nous a fait hésiter, c'est la teneur des propos qui, n'engageant que leur auteur, pouvait apparaître comme très négatifs à l'encontre d'une profession. Au final, nous avons adouci certaines parties du texte (avec l'accord de l'auteur) et supprimé deux passages qui étaient "hors contexte". La digression n'apportait rien aux propos originels.

Sur le fond, ce que dit notre interlocuteur est loin d'être erroné. Mais les conséquences ne sont pas forcément liées aux causes qu'il évoque. Du moins pas toutes. Bon nombre d'acheteurs connus, qui aujourd'hui évoluent vers d'autres sphères, l'ont fait pour "changer" leur quotidien jugé répétitif et non forcément pour quitter un univers peu ou pas intéressant.

Charles, c'est le prénom que se donne l'auteur, ne stigmatise pas les compétences des uns ou des autres mais nous fait remarquer que le Travel est désormais très éloigné des préoccupations des chefs d'entreprise. Pour lui, l'incapacité de vendre à sa direction l'importance des déplacements explique le peu de sensibilisation au sujet. Il veut, et il le dit, que les efforts de communication associatifs portent sur l'information aux dirigeants, clés de voute d'une politique voyage qui ne sera pas une simple liste de restrictions mais qui exprimera la volonté de la société d'être proactif dans l'univers de ses déplacements professionnels.

A vous de juger si le texte que nous propose notre fidèle lecteur colle à votre vision du métier.

Lettre ouverte aux TM qui pensent avoir un poids dans leur entreprise

En dix ans, j'ai pu constater que l'échelle des carrières dans la fonction Achats passait par un chemin immuable : démarrage dans un poste subalterne avant d'entrer dans la cour des grands, le hors prod. Le travel est dans l'entreprise un poste subalterne qui permet de repérer les talents et de les tester. En clair, un bon acheteur va très vite quitter le monde du voyage pour des tâches souvent qualifiées en interne de "nobles et plus utiles à l'entreprise".

Un bon travel manager ne le reste pas longtemps... Sinon c'est un mauvais !
Non cette phrase n'est pas de moi mais d'un DRH qui occupe d'importantes fonctions associatives et reste persuadé que l'achat de voyages est une activité facile qui ne demande que peu ou pas de technicité. On part donc de loin.

Faut-il alors penser que ceux qui restent dans la fonction Travel ne méritent pas l'intérêt de la hiérarchie ? Je répondrais par l'affirmatif. Cela ne veut pas dire qu'ils sont de mauvais acheteurs (même si j'en ai rencontré) mais qu'ils n'ont pas été capables de défendre l'image de leur métier au sein de leur société. Là est le drame. Sans visibilité professionnelle, il n'y a pas d'existence dans l'échelle des valeurs d'une société.

Doit-on imputer cette faute aux seuls TM ? Là encore, je serais tenté de dire oui. A une époque où l'on organise ses vacances du bout d'une souris, on imagine mal qu'un patron puisse considérer que le faire pour 1000 ou 10 000 personnes soit plus compliqué. "Le voyage ne demande aucune technicité, juste un petit talent de négociateur", m'a même expliqué un jour un DAF persuadé qu'une secrétaire un peu formée ferait l'affaire. Et de fait, son assistante joue parfaitement le rôle d'organisatrice de ses propres déplacements. La boucle est bouclée !

Pour changer les choses, le TM doit faire savoir son savoir-faire en permanence. Non pas avec des arguments techniques de spécialiste, mais avec une approche marketing mesurée qui prend en compte la finalité du déplacement et son apport économique à l'entreprise. Ce que très peu savent faire, considérant que le calcul ROI est impossible et que, de toutes façons, c'est l'affaire des "business unit qui se déplacent". Sans un lien tenu avec l'ensemble des services de l'entreprise, le travel n'est qu'un exercice de techniciens, pas d'acheteurs.

Je pense sincèrement que cette situation perdure avec tous les ans son lot de jeunes acheteurs sortis d'école qui, après deux ans au travel, rêvent de piquer le poste de leurs ainés... Loin des problématiques de la TMC et des compagnies aériennes.

Il est vrai que le TM, pour un financier pur et dur, est dans la case des "collaborateurs maudits". En termes de gestion de budgets d'abord, car il démontre tous les ans qu'il a du mal à maîtriser le sien. Il explique souvent en permanence que "pour faire des économies sur le poste déplacement, il suffit de supprimer les voyages". Enfin, le pire sans doute, il ne sait ni anticiper ni gérer les voyageurs qui n'en font qu'à leur tête. Bref… le TM ne sert à rien et seuls les talentueux sortiront de ce cercle vicieux.

Si je devrais les résumer : un TM en poste plus de deux ans ne sert plus à rien ! Il est manipulable et imprécis.

Je ne partage qu'une toute petite partie du regard porté par la finance sur le travel. Mais je dois reconnaître que rien n'est fait aujourd'hui pour valoriser le métier de TM. Une grande partie des associations européennes s'est attachée à donner une image moderne de la fonction "achat de voyages". La France n'est pas dans ce lot. Elle se resserre sur la technicité du métier et oublie la valorisation de son image. Mais ce qui vaut pour le Business Travel reste juste pour le tourisme. Aucun Ministre ou chef de gouvernement n'a réellement mis ce dossier sur sa table ces dernières années. Pourquoi donc se créer un problème alors que tout marche globalement bien ?

Le TM a lui aussi sa part de responsabilité. Le plus souvent, il lui manque la passion. Celle qui fait bouger les montagnes et avancer les sujets. Défendre un poste, ce n'est pas en accepter les seules contraintes, c'est aussi venir en défendre les contours et le savoir. Voilà comment la boucle est bouclée. Les acheteurs qui savent valoriser leur travail vont évoluer. Les autres resteront au travel… A vie. Sont-ils pour autant de mauvais acheteurs ? A vous de juger même si, au sein de l'entreprise, le couperet est vite tombé.

Charles