Les déboires de Michael O’Leary

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J‘espère que l’emblématique patron de Ryanair a un bon métabolisme, sinon il risque de ne pas dormir sereinement vu ce qui lui tombe sur les épaules depuis quelque temps.

Cela a commencé cet été avec des instances auprès de la Commission Européenne pour concurrence déloyale. Il faut dire que ce n’est pas nouveau et qu’Air France avait en son temps fait condamner la compagnie pour sa desserte de Strasbourg. A vrai dire, il est même difficile de lister toutes les instances en cours de Ryanair auprès des divers tribunaux européens, mais gageons que tout cela ne fait pas bouger un cil à Michael O’Leary. La lenteur de la justice fait bien son affaire et pendant les instructions, le « business » continue.

Mais voilà que survient brutalement la pénurie des pilotes. Depuis quelque temps, ces derniers sans doute un peu lassés des pratiques, disons à la limite de la légalité, qui leur sont infligés, quittent la compagnie pour s’embaucher dans des entreprises plus accueillantes. Il faut dire que la croissance du trafic aérien nettement plus importante que prévue, a entrainé une pénurie de pilotes dans la plupart des transporteurs européens. Et ceux de Ryanair sont très bien formés, ils font donc des recrues de choix.

La conséquence est énorme pour la compagnie irlandaise. Tout d’abord il a bien fallu remodeler le programme d’exploitation été qui va jusqu’au 31 octobre. Traditionnellement, en effet, Ryanair met au sol un grand nombre d’appareils en saison hiver et la pénurie de navigants va certainement être beaucoup moins ressentie à partir du mois de novembre. Quoiqu’il en soit, 2.000 vols ont été annulés, excusez du peu, pour le mois d’octobre. A une moyenne de 180 passagers par vol, cela représente tout de même 360.000 consommateurs impactés. Certes, les conséquences financières seront amoindries car pour une information envoyée plus de 15 jours avant le départ du vol, la seule conséquence est le remboursement du billet. Et gageons que cela représente la très grande majorité des vols annulés.

Mais les résultats sur l’image de marque risquent d’être désastreux. Bien entendu les clients savent pertinemment qu’ils ne doivent pas s’attendre à une grande qualité de service et ils acceptent cela car leur première motivation est un prix du billet le moins cher possible. Ils sont d’ailleurs prêts à aller de Beauvais à Bergamo pour faire un Paris Milan. Il faut dire que le tarif le moins cher est de l’ordre de 15 euros par vol, c’est du moins ce que j’ai trouvé sur le site de Ryanair ce jour pour un Beauvais Bergamo le 13 octobre avec un retour le 15 octobre. Bon il faut rajouter tout un tas de petits services tels que l’enregistrement des bagages : 10 € par valise, le choix de son siège à partir de 2 €, l’embarquement prioritaire à 5 € et éventuellement le « fast track » à 4,6 €. Mais enfin ces services additionnels sont optionnels. Seulement, la réputation de grande fiabilité risque d’être écornée si les clients se posent des questions sur la pénurie d’équipages.

Je ne dis surtout pas que le transporteur irlandais - qui fait tourner plusieurs centaines d’appareils - va perdre sa sécurité qui est exceptionnelle. Je pense néanmoins que cela peut peser sur le choix des clients qui risquent de se reporter sur des « low costs » concurrents.

Et puis que se passera-t-il si les navigants techniques ou commerciaux s’avisent de déserter en masse la compagnie pour rejoindre des employeurs plus cléments ? A vrai dire, on a l’impression que la lutte effrénée pour faire baisser les coûts par tous les moyens, y compris ceux qui sont à l’extrême limite de la légalité, a atteint justement son point extrême. Or le modèle de Ryanair repose sur ce système. Comment alors maintenir le ratio de résultat net qui se monte tout de même à 17,3% en moyenne sur les deux dernières années, si les charges de personnel s’envolent sous l’effet de l’appel d’air des concurrents et si les contributions payées par les collectivités locales pour obtenir leur desserte deviennent illégales ?

Ryanair a entamé lentement sa reconversion vers un modèle plus sophistiqué mais plus cher. Des liaisons à partir d’aéroports de premier rang, l'entrée dans l’univers des voyages d’affaires avec un accès via les GDS, une certaine sophistication des services, voilà ce qui est annoncé par la compagnie. Mais ce tournant stratégique prendra du temps, d’autant plus que les grands aéroports sont congestionnés et que les « slots » seront donnés avec la plus grande parcimonie.

Bref le tonitruant Michael O’Leary, qui traite par parenthèses les français de fainéants, va devoir mettre beaucoup d’énergie pour redresser la situation.

Jean-Louis BAROUX