Les difficiles relations entre Air France et Etihad

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Il n’a pas si longtemps, la stratégie du groupe Air France/KLM apparaissait très claire. Garder la place dans le top 3 des compagnies aériennes mondiales et pour cela, construire un périmètre défensif puissant pour faire pièce au grand concurrent qu’est Lufthansa. Alors que ce dernier mettait la main sur les compagnies de l’Europe continentale (Swiss, Austrian et Sabena), Air France alliée à KLM avaient mis un pied sérieux sur le marché italien en prenant 25% de la nouvelle Alitalia. Dans le même temps, notre transporteur national faisait alliance avec Etihad Airways afin de se défendre de son ennemi principal dans le Golfe : Emirates.

Cette stratégie semblait promise au succès et capable de garantir une zone de chalandise suffisante pour garder ses positions, d’autant plus qu’elle signait alors une « joint-venture » d’envergure avec Delta Air Lines pour protéger l’axe transatlantique.

Comme ce temps paraît loin. Entre-temps, et disons depuis 5 ans, les comptes d’Air France /KLM ont plongé dans le rouge au moment où Alitalia, l’alliée stratégique de l’Europe du Sud entrait dans une zone de turbulences qui nécessitait une recapitalisation d’urgence. Seulement Air France a dû faire des choix: soit de financer sa restructuration en payant très cher le dégraissage de ses effectifs pour éviter des conflits sociaux, soit d’investir le même montant dans Alitalia pour non seulement garder sa position dans le transporteur italien, mais pour obtenir une gestion de fait.

J’imagine que le dilemme a été terrible car le marché italien est le troisième européen et le contrôle de la compagnie nationale, un véritable atout. D’autant plus que ce marché est un gros pourvoyeur du « hub » de Roissy. Sans lui, ce dernier devient bancal. Seulement, comme entre deux maux, il faut choisir le moindre, les dirigeants ont opté pour le ménage interne en sachant qu’ils laissaient les mains libres à un investisseur extérieur.

C’est alors qu’Etihad a pointé son nez. Dans le fond, ce n’était pas étonnant compte tenu de la stratégie affichée de la compagnie d’Abu Dhabi. Celle-ci, solidement adossée à un Émirat riche de sa manne pétrolière, est entrée dans une frénésie de prises de participations destinée à faire grossir son bilan pour qu’il puisse contrebalancer son concurrent rapproché : Emirates. Et la guerre entre les deux compagnies du Golfe s’est transportée principalement sur le territoire européen, car c’est là où se trouvent les proies les plus faciles. Les transporteurs de ce continent, obligés de supporter des charges salariales sans comparaison avec celles d’autres continents, affaiblis par leur histoire qui les a conduits à des méthodes de gestion peu adaptées, incapables de résoudre leur sureffectif chronique, englués dans un management conjoint avec leurs syndicats, se sont fragilisés et sont devenus bons à prendre car la plupart ont besoin d’une recapitalisation.

Or donc, pour pallier le manque de possibilités financières d’Air France, Etihad est venue au secours d’Alitalia, enfin de la nouvelle société créée à cet effet, la SAI (Societa Aerea Italiana) en entrant à hauteur de 49% dans le capital pour un montant à peu près équivalent à ce qu’Air France avait déboursé quelques années plus tôt pour acquérir 25% de la compagnie. Dans le fond, les dirigeants français ont dû considérer que c’était là le moindre mal à partir du moment où ils devaient renoncer. En effet la compagnie avait déjà signé avec Etihad un accord de code-share entre Paris et Abu Dhabi, toujours pour faire pièce à Emirates.

Oui, mais les choses se gâtent peu à peu. On découvre qu’Etihad compte bien utiliser sa prise de participation pour influencer, si ce n’est plus, le programme d’exploitation du transporteur italien. On vient d’apprendre en particulier que la desserte d’Abu-Dhabi au départ de Rome était singulièrement renforcée dans le programme prochain. Et cela ne fait pas du tout les affaires d’Air France, car il s’agit d’un vrai détournement de clientèle sur l’axe Europe/Asie, promis au plus fort développement.

Frédéric Gagey a commencé à s’exprimer sur le sujet et en termes encore diplomatiques, mais qui laissent percer un fort scepticisme sur les relations que sa compagnie doit entretenir avec Etihad. Seulement, il faut éviter de se fâcher complètement, car il n’est pas certain que notre transporteur national en grande difficulté ne soit pas amené à faire appel aux ressources financières de l’Émirat d’Abu Dhabi au travers de son transporteur.

Jean Louis BAROUX