Lettre apocryphe d’un président de compagnie aérienne européenne au Père Noël

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Pour terminer nos voeux les plus divers au Père Noël, c'est à notre chroniqueur aérien Jean-Louis Baroux que nous avons fait appel. Grand voyageur lui-même, il rêve de sécurité, de taxes faibles, de pétrole encore plus bas, pour apprécier plus que jamais la magie de l'avion !

Cher Père Noël,
 
Cela fait des années que mes collègues se moquent de moi lorsque j’évoque devant eux le futur brillant de ma compagnie en me disant "Tu crois encore au Père Noël !". Eh bien, je me fiche de leurs sarcasmes, car si l’on ne croit plus en vous, on ne peut imaginer l’avenir. Or donc, si vous le voulez bien, je publie cette année les souhaits que d’habitude je vous adresse en secret.
 
Tout d’abord, préservez ma compagnie de ces fous de terroristes. J’ai trop de respect pour mes clients et mes équipages pour imaginer les voir partir en petits morceaux, même si c’est dans le ciel. Et puis tant que vous y êtes, faites en sorte que notre personnel navigant ne soit pas la nouvelle cible de ceux qui, sous un prétexte religieux plus que douteux, cherchent avant tout à se faire de la publicité.
 
Comme vous le savez certainement, cher Père Noël, nous faisons tous des efforts considérables pour assurer la fiabilité du transport aérien. Et progressivement, nous arrivons à l’excellence. Il nous reste encore à résoudre les éventuelles défaillances humaines, comme cela s’est vu au cours de l’année que nous venons de vivre. En fait deux accidents sur trois sont maintenant causés par des erreurs de pilotage ou de maintenance, alors que toutes les procédures sont prévues pour les éviter. Si vous ne pouvez pas faire en sorte que tous les personnels de compagnies aériennes se comportent de manière irréprochable, faites au moins que l’on puisse identifier les éléments les plus dangereux avant qu’ils commettent directement ou indirectement l’irréparable.
 
A propos, je dois vous remercier chaleureusement pour la baisse drastique du prix du pétrole. Cela nous a fait gagner plus que ce que nous pouvions espérer par une réforme brutale de notre organisation à laquelle nous aurions bien été obligés de nous résoudre pour gagner les points de compétitivité qui nous manquent. Oh certes, ce n’est que partie remise et nous devrons bien mener ces difficiles réorganisations, voire même aller vers des plans sociaux si désagréables car nos concurrents bénéficient eux aussi des mêmes avantages quant au carburant. Mais cela nous laisse un peu de temps supplémentaire pour négocier avec les représentants de notre personnel. L’idéal, cher Père Noël, serait que le prix du pétrole n’augmente pas de manière significative pendant au moins quelques années.
 
Et puis, tant qu’à parler des charges qui pèsent sur notre exploitation, comment ne pas évoquer les taxes que nous devons supporter alors que nos concurrents en sont plus ou moins exemptés ? Je veux parler ici de la taxe de solidarité, dite Chirac, qui pèse beaucoup plus sur nos comptes que sur ceux de nos concurrents. Oh, nous sommes bien d’accord pour améliorer la situation sanitaire des peuples moins favorisés que nous, mais il serait judicieux que tous les pays comparables au nôtre y participent ce qui aurait pour effet d’augmenter le montant récolté tout en diminuant l’écart de compétitivité. Je vous signale d’ailleurs, cher Père Noël, qu’il en est un peu de même pour les coûts liés à la sûreté qui devraient bien retourner à l’Etat, comme c’est le cas aux Etats Unis, par exemple.
 
J’oserais dire également que nous avons grand besoin de votre entregent pour alimenter le dialogue nécessaire entre la direction de notre compagnie et les syndicats représentatifs de notre personnel. Je sais bien que nous ne sommes pas des saints et que nous avons certainement une responsabilité dans la difficulté de nos relations, mais enfin, vous le voyez bien, certains ne veulent rien entendre, je veux parler pour l’essentiel de nos pilotes. On ne peut pas s’en passer et ils le savent. Mais ils ne sont pas conscients des difficultés que nous traversons et de la nécessité où nous sommes de les faire travailler un peu plus, au moins autant que nos concurrents. Cher Père Noël, pouvez-vous faire tomber dans leurs souliers un début de jugeote et un zeste de solidarité envers les autres catégories de personnel ?
 
Cher Père Noël, je ne veux la mort de personne dans notre magnifique secteur d’activité, mais je ne vous en voudrais pas d’envoyer à nos agressifs concurrents du Golfe quelques difficultés économiques bien senties afin qu’eux aussi soient amenés à rabaisser leur fierté et à partager un peu nos soucis quotidiens.
 
Pour finir, cher Père Noël, je voudrais vous dire combien nous aimons notre métier et combien le transport aérien est magique. D’abord pour que les peuples se connaissent mieux et par conséquent, aient l’occasion de s’apprécier. Vous le savez, nous avons le taux de croissance le plus constant et l’un des plus élevés de toutes les activités terrestres. Il nous reste encore beaucoup à faire pour équiper convenablement les continents asiatique, africain et sud-américain. Continuez donc à poser un œil bienveillant sur nous et, de notre côté, nous tacherons comme par le passé à faire de notre mieux.
 
 Jean-Louis BAROUX