Low Cost, arrêtez le massacre !

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La vague « low cost » n’a pas fini de secouer le transport aérien européen. Après le court-courrier qui a pris 40% du trafic, alors que tous les experts prédisaient son échec obligatoire, voici venu le temps du long-courrier. Et comme toujours, les responsables des compagnies traditionnelles expliquent à force de démonstrations incontournables que ce concept est simplement incompatible avec une opération « low cost ».

Moyennant quoi, la compagnie Norwegian est en train de démontrer le contraire. Après avoir ouvert une base à Londres Gatwick la voilà maintenant installée à Roissy Charles de Gaulle. Et cela va entrainer des conséquences désagréables pour les opérateurs français.

La croissance de cette compagnie, située dans un tout petit pays, est impressionnante. Pour ne retenir que les 3 dernières années, elle est passée de 1,558 milliards d’€ en 2013 à 1,954 milliards d€ en 2014 et 2,249 milliards d’€ en 2015. Cela fait une croissance moyenne de plus de 20% par an. Elle a transporté 25,8 millions de passagers en 2015, ce qui en fait un opérateur d’une taille très convenable.

Mais ce qui frappe chez cet opérateur, ce sont ses plans de croissance. Songez qu’il a en commande 122 Boeing 737 dont 100 Max 8, 100 Airbus 320 Neo et 30 Boeing 787-9 Dreamliners. En fait c’est cette dernière commande qui doit nous interpeler. Pourquoi acheter autant d’appareils long-courriers si ce n’est pour développer une énorme opération low cost ? Et de fait, cela ne va pas trainer. Un premier essai a été fait en 2013, avec succès semble-t-il, entre Oslo et Stockholm à destination de New York et Bangkok. Et voilà que Bjorn Kjos, le patron de Norwegian, a décidé de se lancer à partir de la France.

Les premiers vols démarrent cet été à partir de Roissy vers New York (JFK), Fort Lauderdale et Los Angelès, excusez du peu ! Appareils très modernes, d’un standard supérieur à celui des concurrents français, équipages cosmopolites et tarifs d’appel imbattables. Et Bjorn Kjos ne compte pas s’arrêter là: il compte bien utiliser les nouvelles machines à réceptionner vers les Antilles, marché de niche autrefois réservé à Air France et maintenant desservi par tous les transporteurs long-courriers français.

Eh bien, je ne voudrais pas être à la place des dirigeants des compagnies françaises impactées par l’arrivée de Norwegian : Air France, XL Airways et dans une moindre mesure Air Tahiti Nui, dans un premier temps, mais Air Caraïbes et Corsair par la suite, sans compter Air Austral. Car pourquoi voulez-vous que Norwegian n’exploite pas tous les droits de trafic que lui confère l’accord de Ciel Ouvert Européen auquel la Norvège appartient ?

Et c’est là que le bât blesse. Car quelle que soit la performance opérationnelle des transporteurs français, ils seront toujours pénalisés par un surcroît de charges qui ne s’appliquent pas en dehors des frontières, à commencer par les charges salariales et les conditions d’emploi des navigants. On voit bien là, la limite de l’exercice du tout libéral.
Les derniers développements du Brexit ont permis de toucher du doigt les dangers de la concurrence à tout crin, que les autorités de Bruxelles, sous l’influence de la Grande Bretagne en particulier, ont imposée en Europe. On pourra prendre le sujet par tous les bouts, il n’est pas pensable d’avoir un système concurrentiel équitable avec des contraintes sociales et économiques différentes.

Alors, bien sûr, les consommateurs, français en particulier, se frottent les mains. Ils vont pouvoir voyager encore moins cher. Mais ce faisant, sont-ils conscients qu’ils alimentent une conception de la société dont ils ne veulent justement pas ? Celle où il y a moins d’impôts, moins de charges sociales et par voie de conséquences, moins de répartition des richesses, moins de protection sociale. Peut-être que cette forme de société est après tout louable, mais elle ne correspond pas, que je sache, aux désirs des Français.

Alors il faut savoir ce que l’on veut. S’il faut rechercher des tarifs de plus en plus bas, cela est possible en faisant appel aux compagnies dont les charges structurelles sont inférieures à celles que doivent subir les compagnies françaises, mais alors il ne faudra pas se plaindre si, progressivement, le pavillon français disparait des radars.
Certes le transport aérien français a encore des progrès à faire, il doit en particulier penser plus aux clients qu’aux employés du secteur, mais il est lancé sur la bonne voie. Aux pouvoirs publics de faire en sorte qu’il ne se batte pas contre ses concurrents avec un boulet aux pieds.

Jean-Louis BAROUX