Lufthansa donne le signal de la fin d’un modèle économique… Air France devrait suivre, mais autrement

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Que faut-il penser des communiqués publiés moins de 24 heures après l’annonce de Lufthansa de facturer 16 € par billet réservé sur GDS ? On comprend l’émoi de la distribution qui use de ses armes habituelles : boycott éventuel de la compagnie, non présentation des offres aux clients, refus de vente… Autant de piqures de moustiques pour le transporteur allemand.

Pourquoi Lufthansa veut-elle faire payer 16€ par résa sur GDS ? A la base, le coût moyen d’un GDS est de 4€ par segment. Pour des vols de 5ème liberté, là où il y a 4 segments (avec une escale), il y a donc 16 € de coûts pour la compagnie. Est-il raisonnable de pratiquer le best buy et de refuser à un transporteur aérien de chercher des économies ? Car contrairement à ce que l’on pense, le projet était depuis longtemps dans les tiroirs de l’entreprise allemande. N’oublions pas que c'est elle qui, la première, avait annoncé la fin des commissions pour les agents de voyages ! Provoquant, à l’époque, des cris d’orfraie de la distribution. On sait aujourd’hui que tout cela a contribué à améliorer la richesse de la billetterie en agence via les frais de service.

Ce nouveau coup de Lufthansa est donc à l’image du premier ! Il remet à plat les modèles relationnels et exploite la technologie dans ce qu’elle a de mieux : la gestion directe entre le fournisseur et son client. On pourrait s’étonner en Europe de ce qui, aux USA, se met en place depuis un an : l’intégration directe des compagnies aériennes dans les outils de réservations en ligne de l'entreprise, ainsi accessibles depuis l’ordinateur, ou le smartphone du voyageur. Sur les vols domestiques, les tests démontrent que l’accessibilité aux prix négociés est plus simple pour le voyageur qui ne perd pas les avantages des programmes de fidélisation. Ce changement de modèle a de quoi bousculer la distribution…. Largement squeezée par la méthode. Et pourtant, nous ne sommes qu’aux prémices de ces changements radicaux entre les fournisseurs et leurs distributeurs.

Discrètement, la Lufthansa a rappelé par la voix de Jens Bischof - membre du comité de direction de Lufthansa German Airlines et directeur commercial de Deutsche Lufthansa AG - que "Payer pour le service que l’on demande est la première marche de la valeur ajoutée". Un sujet sensible que nous susurrent à longueur de jours les fournisseurs du travel management, qu’ils soient TMC ou technologiques. A l'inverse, lorsqu'un service est disponible et gratuit sur le net, pourquoi s'en priver ? Parfois, nous l’oublions même si, officiellement, les sites internet des compagnies aériennes, doivent appliquer des frais de service.

Ne nous leurrons pas non plus sur la finalité du métier de travel manager qui n’est pas complexe dans son quotidien, fut-il le plus animé. Ce qui fait l’extrême professionnalisme d’un acheteur, et tout son talent, c’est son sens de l’anticipation des dépenses, de la négociation et de l’analyse du consommé. On ne lui demande pas d’être un super agent de voyages capables de gérer les soucis des voyageurs (même si c’est un pan de son métier) mais d’analyser le futur et de comprendre les évolutions qui vont peser sur les dépenses. Les frileux disparaissent, les novateurs se développent ! Preuve de ce glissement de compétences, les acheteurs remplacent bien souvent les TM dans les postes opérationnels ! Et les TM, eux-mêmes se positionnent de plus en plus sur les achats, plus que sur le seul travel. C’est bien la preuve que les nouvelles relations avec les fournisseurs seront essentielles dans ce métier.

En réagissant à chaud aux décisions de Lufthansa, le SNAV n’a fait qu’expliquer sa vision immédiate du problème posé. Mais au-delà, sa position ne tient pas. Premier constat: le prix des billets d’avion est en baisse constante depuis 2 ans, entre 1,5 et 3% selon les années. Une situation que l’on doit à la concurrence acharnée. En vingt ans, il se sera créé autant de compagnies que celles disparues les 20 années précédentes. Le marché reste porteur, si l’on en croit les prévisions de IATA. Seconde remarque, la vraie question n’est pas posée : « A quoi sert le distributeur ? ». Bien évidemment nous avons tous des réponses à cette interrogation et leur rôle est souvent essentiel, personne n'en doute. Seule obligation pour eux : repenser leurs actions et leur communication avec les acheteurs. Ils sont les points avancés d’un outsourcing qui demande du savoir réel et non de simples outils digitaux. C'est un pari risqué que d'évoluer, mais qui pourra s'en passer ?

Au-delà, on le sait par les chiffres publiés par les compagnies ou la DGAC, 67% des liaisons sont des déplacements de «point à point», sans difficulté réelle. Seuls 5 à 7% sont des voyages complexes où le rôle de l’intermédiaire, l’agence en occurrence, est nécessaire. Ce n’est pas pour rien que Selectour Afat a créé une salle de marché dont la seule finalité est d’optimiser les coûts des voyages complexes. Preuve que l’idée était bonne, le service connaît une croissance exponentielle. Le NDC qui se prépare va venir bousculer tout ce fragile équilibre. Qui en a conscience chez les acheteurs ?

Et les concurrents ?

A priori tout le monde regarde le pavé dans la mare de Lufthansa. Et certains sont prêts à faire de même… Dans quelques semaines. Et Air France ? A priori, rien de concret pour l’instant. Au sein de la compagnie française, on étudie le sujet même si certains spécialistes affirment que « le moment serait mal choisi en raison d’une grogne sociale en interne et d’une concurrence forte sur les marchés européens ». Il y a tout à parier qu'Air France va positionner son action ailleurs. Vers le BSP.

Le Billing and Settlement Plan est une filiale de IATA qui se charge de récupérer tous les mois, vers le 15, les montants encaissés par les agences de voyage (loisir et affaires). Une sorte de banque tacite dont le rôle est de garantir que les sommes perçues seront bien récupérées par les compagnies. Actuellement Air France, comme tous les autres transporteurs en France, est donc payée tous les 30 jours. Un délai jugé trop long. Vu de sa fenêtre, l’argent serait mieux utilisé au sein de la compagnie que sur les comptes des agences de voyage. La compagnie française devrait donc demander à la prochaine « conférence passagers » de IATA, en octobre prochain, que ce BSP soit réglé tous les 15 jours et non tous les mois. L’Angleterre, l’Italie ou l’Allemagne y sont déjà passé. La France est dans le dernier carré de ceux qui en sont encore au BSP mensuel. Selon nos sources, Air France devrait obtenir satisfaction même si la décision doit être prise à l’unanimité. Solidarité aérienne oblige.

Quelles conséquences ? La trésorerie des agences ira deux fois par mois vers les transporteurs, on l’aura compris. Mais au-delà, c’est une autre bataille qui s’engage, plus insidieuse : le blocage des réservations à 15 jours et non à un mois. Une meilleure maîtrise du yield même si, officiellement, cela n’est qu’une vue journalistique sans fondement. Et pourtant, British Airways a réussi à limiter la baisse moyenne du prix de ses billets à 10 jours. Typiquement une demande business travel sur les classes avant.

Changer ! Ce mot d’ordre est depuis des années à la une de toutes les stratégies des compagnies aériennes. Lufthansa donne le ton avec bien d’autres idées dans ses cartons. En Allemagne, la gestion directe de la billetterie aérienne des PME/PMI reste un vrai sujet que les acheteurs eux-mêmes sont prêts à étudier. Tous les points d’une bascule de modèle économique sont désormais réunis. L’imagination doit désormais se retrouver dans la distribution. Va t-elle le comprendre et réagir ? Réponses avant la fin de l’année.

Marcel Lévy