Malheureux voyageurs d’affaires, leurs meilleurs amis sont fumeurs

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Voilà quelques semaines, un de mes amis voyageur d'affaires m'avait affirmé sur un ton péremptoire : "Je ne serais plus le complice du futur cancer de mes collaborateurs, je ne rapporterais plus de cartouches de cigarettes". Il y a quelques jours, sur le même ton, il me disait "Au prix où vont s'acheter les clopes, je dois faire un geste pour les petits salaires de mon équipe". J'avoue que je n'ai pas tout compris. Allait-il les conduire à un centre de dépistage ou revenir sur sa décision et devenir, légalement, un petit trafiquant ?

"Je me suis mal exprimé", a t-il avoué plus tard un peu gêné, "Mais quand j'ai vu arriver la hausse de 40 centimes sur les paquets, J'ai compris que je devais utiliser mes avantages de voyageur pour les aider". Pourquoi pas. C'est vrai qu'a moins de 15 $ la cartouche en Chine, on comprend que la tentation soit forte. C'est sur le salon IFTM Top Resa que j'ai pris conscience que c'était une vraie question. Faut-il rapporter des cigarettes de ses voyages d'affaires ? Autant le dire, la grande majorité répond "oui". Souvent d'ailleurs pour les questions économiques déjà évoquées. Le droit limite le transport à deux cartouches, ce n'est pas super encombrant. D'autres me disent que chacun est libre de ses choix et que jouer les intermédiaires n'est qu'une affaire de courtoisie vis à vis de ceux qui ne bougent jamais. "Nous ne sommes pas des donneurs de leçons", m'a dit une travel manager, persuadée que le petit trafic existait, et depuis longtemps, dans son entreprise. Il est vrai que la tentation est forte au prix où s'affichent les cigarettes dans certains pays.
Le transport va parfois plus loin et frôle l'illégalité. On le voit aux postes frontières de l'Hexagone ou, plus dangereux, avec les filières de contrebande qui se mettent en place... Y compris dans les entreprises. "J'ai été approché, en tant que fumeur, par un cadre qui m'a expliqué qu'il pouvait avoir des paquets de clopes pour deux fois moins chers que dans les bureaux de tabac", commente un acheteur, "J'ai craqué et je reconnais qu'elles sont aussi bonnes que les autres. Aujourd'hui, plus de 50 % des fumeurs de l'entreprise utilisent cette filière". Difficile de se faire une idée sur la question. «Je crois que l'on s'acharne volontiers sur les fumeurs car les entreprises productrices sont principalement étrangères», poursuit l'un de mes interlocuteurs «Pourquoi ne fait-on pas la même chose avec l'alcool, qui cause des ravages en matière de santé publique et dont le coût sur la sécurité sociale est souvent annoncé comme deux fois supérieures à celui du tabac ?». Là non plus, je n'ai pas de réponses. Ce que je sais, c'est qu'il est plus facile de ramener deux cartouches dans sa valise que deux bouteilles de vin. Certaines chemises s'en souviennent encore !

Marcel Lévy