Marie Allantaz, Escaet : « Il est faux de dire qu’il n’y a plus d’emploi dans le travel management »

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Des entreprises et des jeunes feraient courir un bruit selon lequel il n'y aurait pas de travail dans le Travel Management et que les débouchés seraient faibles... Cela ne m'étonne pas et m'étonne à la fois. Cela ne m'étonne pas d'abord côté professionnels, car quand on parle de Travel Management, on fait très souvent un raccourci : on ne pense qu' aux métiers du Travel Manager ou de l'acheteur ... et comme les entreprises qui investissent dans ces postes ne sont pas très nombreuses, on peut se dire que les débouchés sont faibles.

Mais si justement, on prend en compte le fait que le Travel Management est plus large que cela, la vision est bien différente.

Si on intègre d’un côté ces entreprises qui ont des Travel Managers et/ou des acheteurs voyages - mais aussi celles qui n'ont pas les moyens d'embaucher une personne sur ces fonctions tout en ayant un besoin d’optimisation sur ce budget - et de l’autre côté tous les fournisseurs qui apportent des solutions aux entreprises (TMC, éditeurs de solutions technologiques, hébergeurs, transporteurs aériens et terrestres, agences événementielles, sociétés de consulting, nouveaux entrants sur les services restaurant, taxi, mobilité),...alors dans ce cas, les débouchés sont là.

Cela ne m'étonne pas concernant les jeunes non plus, car leur vision sur le Travel Management est très souvent erronée :
Soit ils l’associent à “tourisme” pour des étudiants qui y rentrent par cet attrait et, dans ce cas, on est depuis 30 ans face aux mêmes clichés du métier de passion dans lequel on ne gagne pas sa vie et on ne pense qu’aux professions d'agent de voyages, de directeur d'hôtel ou d'Office du Tourisme...
Soit ce sont des jeunes qui y rentrent par une formation en achat ou commerce généraliste et qui ont donc souvent la même vision que certains professionnels : seuls débouchés dans le Corporate Travel = Achat ou TM en entreprise cliente.

Cela m'étonne car plus j'ai de discussions avec des responsables Ressources Humaines ou directeurs de services dans les entreprises du Corporate Travel, plus j'entends dire que le contexte est compliqué, qu'il est de plus en plus difficile de se différencier dans un environnement concurrentiel, de convaincre un client ou de négocier avec un fournisseur, etc... Ils recherchent donc des profils spécialisés, des "moutons à 5 pattes" qu'ils ont beaucoup de mal à trouver.

Le problème est donc double. D'un côté le Corporate Travel/ Travel Management/ Business Travel est mal connu et mal défini, à la fois par les professionnels et les étudiants et d'un autre côté, on a du mal à reconnaître que des connaissances et compétences spécifiques en Corporate Travel sont nécessaires dans ces métiers .... On se dit qu'il faut avoir un bagage acheteur en entreprise ou un bagage commercial en TMC, ou encore un bagage ingénieur chez un éditeur ... Or, le bagage “expertise en Corporate Travel” est le seul qui permet de réellement comprendre l'ensemble des acteurs, des problématiques et des besoins des uns et des autres ! C'est le seul qui permet d'acquérir une polyvalence, d'évoluer tantôt côté client, tantôt côté fournisseurs dans ce bel univers qu'est celui du Corporate Travel et d’être ce “mouton à 5 pattes”.

Que signifie acquérir une expertise sur le Corporate Travel ?
C'est comprendre la genèse des déplacements professionnels dans les entreprises et son évolution vers un poste de coût très important à optimiser, puis intégrer des spécificités liées à la sécurité, à la RSE.
C’est situer le voyage d’affaires dans le fonctionnement plus large de l'entreprise avec les ordres de missions, les solutions de paiement et les note de frais. Il s’agit évidemment de comprendre le fonctionnement et les évolutions des solutions technologiques de la réservation classique au process end to end et maintenant door to door ainsi que toutes les connectivités avec les autres systèmes.
L'expertise Corporate Travel. passe également par la maîtrise de l'évolution du business modèle de la TMC (commission zéro, transaction fee, management fee, mix modèle...) et de celui des hébergeurs et des transporteurs (fonctionnement du yield, nébuleuse de la distribution, partenariats ... ) sans oublier les spécificités du MICE et ses convergences avec le voyage d'affaires et les enjeux des sociétés de consulting.

Peu de professionnels et de jeunes ont cette vision globale du Corporate Travel et c'est malheureusement pour cela qu'on entend ces bruits qui courent ... Pourtant, si on regardait les choses comme il faut les regarder, on se rendrait compte que les débouchés sont nombreux et divers (fonctions achat, logistique, organisationnelle, commerciale, gestion de projet technique, suivi de compte, implémentation, support, conseil, analyse, optimisation, yield management, marketing, webmarketing....). Les formations sont rares puisque l'ESCAET est la seule à proposer une formation dédiée au Business Travel. Il faudrait former plus d'étudiants. Cependant les repères n'ont pas changé et ces derniers intègrent donc majoritairement notre école car ils s'intéressent au tourisme de loisirs d'abord : 90% d'entre eux veulent être chef de produit chez un tour opérateur ou chef de projet dans l'événementiel. Il faut donc, après un tronc commun, leur montrer que le Corporate Travel existe et qu'il y a des débouchés intéressants pour qu'ils y voient le potentiel, qu’ils suivent ensuite cette filière et soient "piqués" par ce secteur ... Un gros travail est à réaliser en amont pour faire connaître davantage le Corporate Travel et les débouchés. Mais pour cela, il faudrait que tous les acteurs travaillent ensemble main dans la main, qu'on élargisse le débat et qu'on ne cherche pas uniquement à savoir qui, de l'acheteur, du travel manager ou du mobility manager doit être le mieux considéré. Qui, du client ou du fournisseur, doit être le plus écouté. Qui, de la TMC ou de l'éditeur de solutions technologiques, va disparaître. A bon entendeur ...

Marie Allantaz,
Directrice ESCAET