Nous sommes (presque) tous des imbéciles en puissance

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Il ne se passe pas un jour sans que ne soit décortiquée la puissance du numérique dans notre vie quotidienne. Pas une semaine sans que la supériorité du processeur et l'imagination des développeurs ne s'affichent à la une de l'actualité. Pas un mois sans l'annonce tonitruante d'une innovation qui va, une fois de plus, nous aider dans notre vie professionnelle ou personnelle. Il en va ainsi des époques par trop technologiques où l'on oublie trop souvent que rien de ce qui n'existe n'est le fruit du hasard ou d'une génération spontanée. Notre bien être passe par les cerveaux bien faits d'ingénieurs aux dents longues, créatifs et inspirés. Est-ce un risque ?

A en croire les étudiants de Stanford, la Mecque du savoir mondial en matière de connaissances numériques, nous nous dirigeons lentement mais surement vers une société à deux vitesses. D'un côté les concepteurs et de l'autre les utilisateurs. Les premiers, à l'esprit affuté comme une lame de rasoir, imaginent, développent, construisent notre univers de demain. Les seconds, dont je fais partie, consommeront sans trop se poser de questions. Pire, selon les spécialistes de l'éducation, la mise à disposition instantanée du savoir va nous transformer en "légumes actifs". Vivants et dynamiques, intelligents (au sens premier du mot) mais totalement dépendants du net pour tout ce qui nous entoure. En clair, notre cortex sera déporté sur le web pour répondre à la moindre interrogation que nous nous posons. Inutile de retenir la date de la bataille de Marignan* ou les grandes dates de la révolution française, un coup de Google et hop. Déjà les enseignants maudissent le "copier coller", "Wikipedia" et tous ces sites qui normalisent le savoir en une soupe simplifiée qu'il suffit de rapatrier dans Word pour avoir une bonne note. "Nous assistons à une différenciation des connaissances" explique Alain Joyet, sociologue d'entreprise, "Un monde à deux vitesses que découvrent les nouvelles générations : brillant dans l'analyse des faits et la capacité à s'informer, ignare dans ce qui fait la puissance humaine : l'enrichissement culturel".

Faut-il pour autant condamner le futur à stocker dans nos smartphones, nos iPads et autres iPhones? Certainement pas. Mais il est vrai qu'à force de ne pas faire travailler sa mémoire (un muscle comme un autre), on risque d'être plongé dans un trou sans fin qui pourrait bien de nous faire perdre cette richesse incommensurable qu'est l'innovation "gratuite". La réflexion pour le plaisir. L'analyse pour la joute verbale. En un mot : la connaissance.

Marc Dandreau