Quand les journalistes ouvrent la boîte (noire) de Pandore

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« Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien »… La phrase a pu avoir son succès, en d’autres temps, sous d’autres cieux. Difficile aujourd’hui de l’imaginer en Une d’un média national. Coûte que coûte, l’information doit être disponible, toujours plus vite, quitte à prendre des risques. Les révélations sur le vol Rio Paris, qui se succèdent chaque jour dans nos kiosques, sur nos ondes, ou sur Internet, illustrent bien cette tendance. A chaque jour son lot d’ « informations exclusives » qui permettraient d’élucider les causes du crash du vol AF 447. Les médias nationaux se succèdent devant le public, qui pour expliquer, qui pour déduire, qui pour « bluffer », sur la base d’éléments finalement réduits, et soumis aux intérêts des différents acteurs de l'affaire. Les « sources proches du dossier » se multiplient, et chaque information parcellaire devient ainsi une explication technique, une théorie aéronautique… On en oublierait presque que les boîtes noires sont entre les seules mains des enquêteurs qui eux, se montrent bien moins prolixes.

A peine sorties de l’océan Atlantique, après deux ans d’attente, les boîtes noires ne peuvent plus tenir leur langue. Pas un jour sans qu’un média ne donne la parole à ces petits « mouchards », qui s’étaient pourtant montré bien discrets jusqu’ici. Après le Figaro, qui mettait Airbus hors de cause en début de semaine, en pointant plus ou moins directement une erreur de pilotage, c’est désormais à Europe 1 de révéler des informations une nouvelle fois inédites, qui limitent la responsabilité des pilotes. La première version s’appuyait sur un Telex d’Airbus, qui ne conseillait aucune précaution aux compagnies aériennes utilisant l’appareil concerné. Conclusion : l’appareil n’est pas en cause, la faute en revient au cockpit. La deuxième histoire retracée par Europe 1 indique qu' « il n’y a pas eu d’erreur de pilotage dans la trajectoire », et renvoie à son tour la balle dans le camp d’Air France et d’Airbus…
Entre temps, le BEA et les familles des victimes avaient pourtant appelé à la prudence, à la dignité, et autres concepts difficilement conciliables avec un dossier aussi brûlant. Le gouvernement lui-même est d’ailleurs entré dans la danse, par le biais de Thierry Mariani. Face à la pression des médias, le Ministre des Transports y est allé de sa petite phrase, en prévoyant déjà la fin de l’enquête : « Je pense qu'on le saura fin juin » indiquait-il jeudi sur France Info. Dans ce contexte, on en oublierait presque le rôle des premiers intéressés, les enquêteurs du Bureau d’Enquête et d’Analyse. Et surtout les familles des victimes, qui découvrent chaque jour un nouveau scénario, un nouveau coupable. C’est sûr : les nombreuses questions soulevées par le crash du vol Rio-paris méritent des explications, à la fois pour donner des réponses à ces familles, et plus généralement pour éviter qu’un tel incident ne se reproduise. De là à exploiter une intrigue dont seuls les enquêteurs ont les clés, il n’y a qu’un pas qu’il faut tenter de réprimer tant que les « sources proches du dossier » n’ont pas laissé la parole aux enquêteurs en charge du dossier. Après deux années passées au fond de l’océan, et les 228 victimes de l'accident, on peut peut-être s'octroyer le luxe d'attendre une enquête sérieuse avant d'en analyser les conclusions. D'autant que les voyageurs n'ont pas grand chose à gagner face à des informations parcellaires qui n'ont pour l'instant aucune incidence, sinon anxiogène, sur leurs déplacements.

Florian Guillemin