Quel est le coût des alliances ?

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Petit à petit les résultats des compagnies aériennes pour 2011 sont publiés. Ils sont très disparates, mais, dans l’ensemble, ils ne sont pas bons, même si le groupe IAG (British Airways plus Iberia) semble mieux tirer son épingle du jeu avec un résultat net positif de 555 millions d’€. Je constate néanmoins que les compagnies appartenant à l’une des 3 grandes alliances ne s’en tirent pas mieux que les autres.

Quel est le coût des alliances ?
Les résultats du groupe Lufthansa sont médiocres et faut-il rappeler qu’American Airlines est passé sous le régime du Chapter 11 et que, depuis le début de l’année 2012, Spanair et Malev, toutes les deux appartenant à une alliance, ont été purement et simplement liquidées. Cela prouve au moins que l'appartenance à une alliance ne protège pas les participants et qu’il n’y a aucune solidarité à l’intérieur de ses ensembles.

Alors, à quoi peuvent-elles donc servir ?
Chaque fois que je rencontre un responsable d’une compagnie aérienne concernée, je pose la même question : «Votre participation à votre Alliance est-elle profitable pour votre compagnie ?» Et chaque fois, la réponse est «Oui, bien entendu». Cela devient plus compliqué lorsque l’on entre dans le détail. Certes, on vous explique que les programmes de fidélisation sont interconnectés et que les clients bénéficient d’un réseau mondial nécessaire à l’approche des grandes sociétés. Mais personne ne s’étend sur les menus inconvénients.
D’abord il y a le fait qu’à l’intérieur d’une même alliance, la concurrence est tout aussi farouche qu’à l’extérieur. La conséquence est que les compagnies ne peuvent pas compter sur leur appartenance à une alliance pour améliorer leur «yield». Par contre les transporteurs candidats à une alliance doivent passer par tout un nombre de tests fixés par un petit nombre de transporteurs et imposés à tous. Autrement dit Lufthansa et United dictent à Ethiopian Airlines, dernièrement entrée dans la Star Alliance, les bonnes pratiques qui seules permettent l’adhésion à ce groupe. On peut cependant légitimement se poser la question de la pertinence de cette politique. En quoi la compagnie entrante bénéficiera des «améliorations» qu’elle aura apportées à ses pratiques ? Après tout, l’OACI est là pour faire respecter les règles qui seules ont amené le transport aérien au niveau de fiabilité considérable qu’il a atteint. Pourquoi un transporteur africain devrait-il utiliser les pratiques américaines ? Celles-ci sont-elles à ce point efficaces ? Si cela était le cas, comment expliquer que tous les grands transporteurs américains soient passés par la case «dépôt de bilan», et certaines même plusieurs fois ?

Et puis, tout cela a un coût. D’abord l’adhésion qui, pour une compagnie de taille moyenne, se chiffre tout de même à plusieurs dizaines de millions de dollars. Il y a également les charges annuelles qui sont encore plus élevées, le tout pour maintenir une «technostructure» dont l’efficacité reste à démontrer. Rajoutez à cela la participation à d’innombrables réunions qui se font à des niveaux hiérarchiques élevés, ce qui mobilise le management des entreprises et qui a forcément un coût, même s’il n’est pas toujours chiffré.
Bref, les compagnies aériennes se sentent à ce point fragilisées qu’elles consentent des efforts considérables pour obtenir une protection parfaitement aléatoire. C’est dire à quel point le système est malade. Cela est d’ailleurs d’autant plus étrange que le secteur d’activité continue à croitre en volume de 5% par an, c’est-à-dire qu’il double tous les 12 ans. Comment dans ces conditions n’arrive-t-il pas à être durablement profitable ?

Pour tout dire, il manque une police à ce métier. Certes, elle existe pour faire voler les avions en toute sécurité et elle est parfaitement efficace, il n’y a qu’à constater les progrès réalisés. Ce n’est absolument pas le cas pour le côté commercial et économique. Les compagnies pendant longtemps protégées par leurs Etats se sont trouvées brutalement plongées dans un univers libéral où la compétition est la règle. Mais compétition ne veut pas dire de vendre au-dessous du prix de revient. Or c’est bien la seule parade qu’ont trouvée les compagnies aériennes pour défendre leur part de marché et de conquérir les marchés du voisin. On voit où cela mène.

Il est grand temps qu’une autorité siffle la fin de partie et fixe des règles, compatibles avec les pratiques commerciales internationales, et qui fassent remonter le niveau tarifaire de manière suffisante pour payer les charges d’un mode de transport sophistiqué et donc onéreux. Il est urgent que les compagnies disposent d’une référence pour lutter devant les Tribunaux contre la vente à perte largement pratiquée pour le moment.

Je ne vois qu’IATA pour reprendre la main sur ce sujet. Encore faut-il que les membres du petit club qui composent le «Board» de cette institution le décident.

Jean-Louis BAROUX